Ces rats paralysés qui remarchent

Neuroplasticité

Rédigé par Isabelle V. et publié le 27 mars 2018

Les blessures de la moelle épinière touchent chaque année plus de 50 000 personnes dans le monde. Selon le niveau de la lésion, une paralysie plus ou moins étendue s’en suit, bouleversant la vie d’hommes et de femmes qui ne rêvent plus que d’une chose : remarcher un jour… Une équipe de chercheurs de l’École Polytechnique de Lausanne a mis au point une technique permettant à des rats paralysés de remarcher. Explications.

rats paralysés

Une moelle toujours fonctionnelle

Notre système nerveux est constitué du cerveau, sorte de grand chef d’orchestre de notre corps, de la moelle épinière, enfermée dans notre colonne vertébrale, et des nerfs.

La moelle épinière est un long cordon dans lequel transitent les informations du corps au cerveau, et du cerveau au corps. C’est ce qui nous permet, par exemple, de savoir si l’eau de notre bain est chaude ou froide, et aussi de marcher, sauter, courir, en actionnant les muscles de nos jambes.

Suite à un accident, la moelle épinière peut être abîmée. Il s’en suit une interruption du message électrique entre le cerveau et la partie de la moelle épinière postérieure à la lésion. Cela entraîne alors insensibilité et paralysie d’une partie du corps. Ainsi, de nombreuses personnes victimes d’accident se retrouvent dans l’impossibilité de marcher.

Cependant, la partie de la moelle épinière postérieure à la lésion reste fonctionnelle ; c’est le message électrique provenant du cerveau qui ne passe plus. Les nerfs, les muscles et les articulations sont également en état de marche. Il manque juste les ordres du grand chef : le cerveau.

Fort de ce constat, les chercheurs de l’équipe de Grégoire Courtine mènent depuis plusieurs années une expérience inédite. Leur opiniâtreté a payé puisqu’ils ont réussi à faire remarcher des rats paralysés !

Les rats paralysés remarchent

L’expérience a consisté, dans un premier temps, à rendre des rats paralytiques en procédant à 2 hémisections (mais pas une section complète) de leur moelle épinière à quelques millimètres d’écart. Ces 2 hémisections, de part et d’autre de la moelle, ont eu pour effet d’interrompre le message provenant du cerveau, rendant les rats complètement paralysés de l’arrière-train.

Les scientifiques ont ensuite stimulé la portion de moelle épinière postérieure à la lésion par l’injection d’un cocktail chimique et une stimulation électrique via des électrodes.

Soutenu par un petit harnais, les rats paralysés ont été placés en position verticale, les pieds reposant sur un tapis roulant. Les chercheurs ont alors pu constater que les animaux se tenaient debout sur leurs membres postérieurs, puis qu’ils remarchaient ! Ils avançaient leurs pattes l’une après l’autre au rythme du tapis. Mais, il s’agissait d’une marche automatique et involontaire, rendue possible par la stimulation de la moelle, mais indépendante des ordres du cerveau. Lorsque le tapis roulant s’arrêtait, les rats étaient incapables de se déplacer.

Les scientifiques ne se sont pas découragés, et, en plus des traitements chimiques et électriques, ils ont décidé de procurer à leurs rats paralysés un entraînement intensif sur tapis roulant : 40 minutes, 6 jours par semaine pendant 2 mois.

Au bout de ce temps, les rats avaient non seulement retrouvé une motricité volontaire, mais aussi coordonnée ; par exemple, ils étaient capables de lever les pattes de façon alternée pour monter un escalier !

Tout est affaire de plasticité !

Rien de miraculeux à cela pourtant. Enfin, rien qui ne puisse s’expliquer à l’aide d’un puissant microscope. En effet, ce résultat extraordinaire est lié à la plasticité de notre système nerveux. Les stimulations de la moelle épinière associées à l’entraînement intensif ont permis à de nouvelles connexions nerveuses de voir le jour au niveau de la lésion de la moelle, mais aussi dans le cerveau. Ce sont ces nouvelles connexions, visualisables en 3 D grâce à un microscope spécial dit « à feuilles lumineuses », qui ont permis aux rats paralysés de retrouver une motricité volontaire et coordonnée.

Cette technique permettra-t-elle aux humains en fauteuil roulant de remarcher un jour ? Nous devrions avoir la réponse à cette question assez rapidement car l’équipe de Grégoire Courtine teste actuellement sa méthode sur des patients atteints de lésion de la moelle épinière dans un centre hospitalier suisse.

Isabelle V., journaliste scientifique

Sources
– Comment une rééducation multimodale refait marcher des rats paraplégiques. lequotidiendumedecin.fr. Consulté le 20 mars 2018.