Le monde médical recèle parfois son lot de bonnes surprises qui rendent tous les espoirs possibles. Le centre de traitement des brûlés de l’hôpital Saint-Louis de Paris a rendu publique il y a quelques jours une véritable prouesse médicale. Un homme de 33 ans, brûlé sur l’ensemble du corps à 95 %, et présentant une chance de survie quasi nulle, a pu être sauvé grâce à la greffe de la peau de son frère jumeau. Zoom sur cet exploit inédit.
Un cas critique
Victime d’un accident du travail en septembre 2016, Franck, grand brûlé de 33 ans, a été conduit par le SAMU à l’hôpital Saint-Louis de Paris dans un état critique avant d’être plongé sous coma artificiel :
« Tout le monde faisait la tête, se souvient le Pr Mimoun, responsable de ce centre parisien spécialisé. On savait que ses chances de survie étaient pratiquement nulles. »
Il faut savoir que les grands brûlés meurent généralement de leurs blessures pour deux raisons :
- La peau brûlée ne peut plus assurer sa principale fonction de barrière ce qui rend l’organisme vulnérable aux infections bactériennes
- La peau brûlée devient un vrai poison : elle envoie à l’organisme des toxines pouvant toucher les organes vitaux et provoquer un état de choc
Face à cette double problématique, l’équipe médicale en charge du patient procède différemment selon l’étendue de la surface brûlée :
- pour une surface brûlée inférieure ou égale à 50 % : il s’agit de maintenir le patient en vie tout en ôtant la peau brûlée en attendant qu’elle se régénère.
- pour une surface brûlée comprise entre 60 et 70 % : attendre est beaucoup plus risqué pour la survie du patient. Les chirurgiens utilisent alors des greffons en « sandwich », issus de la peau de donneurs. Cette technique permet de gagner trois semaines avant que le greffon ne soit rejeté par le patient receveur, ce qui oblige à renouveler l’opération.
A savoir ! Le traitement immunosuppresseur chargé d’empêcher le rejet du greffon est contre-indiqué chez le grand brûlé compte tenu du risque élevé d’infection.
Le cas de Franck s’est avéré d’autant plus difficile à traiter que le jeune homme était brûlé à 95%, soit la quasi-totalité de sa surface corporelle ; les chances de survie étant quasiment nulles pour ce niveau de surface brûlée. Son frère jumeau Éric s’est alors immédiatement porté volontaire pour donner sa peau. Même si dans le cas de greffe entre vrais jumeaux, le receveur garde la peau de son frère donneur sans risque de rejet, Eric a été prévenu qu’il risquait de garder des marques et que l’équipe médicale n’était pas certaine de pouvoir sauver Franck.
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Une opération chirurgicale inédite
Des greffes de peau issue d’un jumeau monozygote du patient brûlé avaient déjà été effectuées par le passé mais jamais sur une telle étendue. L’opération de Franck, brûlé au 3e degré sur la quasi-totalité du corps, était donc une grande première pour l’équipe du Pr Mimoun de l’hôpital Saint-Louis, en collaboration avec celle du Pr Mebazaa en anesthésie réanimation.
A savoir ! Les jumeaux « monozygotes » ou « homozygotes », communément appelés « vrais jumeaux » sont issus de la division d’un œuf fécondé unique. Les deux embryons présentent ainsi exactement le même patrimoine génétique.
Une véritable course contre le temps s’est alors engagée pour opérer les jumeaux en simultané au sein de deux blocs voisins : « Chaque jour compte, précise le Pr Mimoun. L’Agence de la biomédecine a donné les autorisations avec une incroyable réactivité ».
Les prélèvements de peau chez Eric ont été effectués à partir de zones ayant la capacité de cicatriser très rapidement comme le crâne (environ 5 jours), le dos et les cuisses (environ 10 jours). Quant à Franck, le grand brûlé, ce sont les zones des mains, du thorax et des jambes qui ont été greffées en priorité. Finalement, la double opération aura du être renouvelée 3 fois (au 7e, au 11e et au 44e jour) et Eric aura donné 45 % de la surface de sa peau à son frère jumeau.
L’équipe médicale précise également que l’avantage majeur du recours à la greffe de peau d’un jumeau monozygote tient dans le fait que le greffon ne sera jamais rejeté par le receveur puisque son capital génétique est identique à celui du donneur.
Une question se pose alors : comment les 45% de surface de peau donnée par Eric ont-ils pu suffire à couvrir les 95% de la peau brûlée de Franck ? : « Des techniques classiques chez les grands brûlés permettent l’expansion des feuilles de peau, qui se trouent comme des bas résille, explique le Pr Mimoun. La surface est multipliée par 3 ou 4 et les petits trous cicatrisent en 10 jours. Il y a eu un cercle vertueux, la peau du patient se régénérait de plus en plus vite », précise le médecin.
Finalement, l’équipe a pu mener à bien un véritable exploit médical car après plus de 4 mois au centre des grands brûlés et 6 mois en rééducation, le jeune homme a pu rentrer chez lui : « Franck a récupéré même dans des zones qu’on n’espérait plus, se réjouit le Pr Mimoun. Il a récupéré l’ensemble du visage, les mains sont fonctionnelles, et il continue de récupérer ». La bonne santé générale du patient et le fait qu’il ne fume pas ont certainement participé à son bon rétablissement.
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Greffe de la peau : vers une « peau universelle » ?
Cet exploit médical donne des ailes à l’équipe du Pr Mimoun, pour lequel ce cas constitue une véritable preuve scientifique et ouvre la voie à l’espoir de nouvelles techniques thérapeutiques :
« Il est possible de guérir des grands brûlés à 95 %. Si l’on disposait d’une peau universelle, comme de donneurs universels pour les groupes sanguins, la procédure pourrait sauver les très grands brûlés. Ce n’est pas du rêve. Les chercheurs vont nous la trouver. On est à l’aube de découvertes qui vont changer la médecine demain ».
Des travaux de recherche sont d’ailleurs actuellement en cours. Ils concernent des cellules souches chargées de fabriquer à l’infini des cellules de peau qui pourraient ensuite être auto-greffées sur les patients brûlés. Affaire à suivre…
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Déborah L., Docteur en Pharmacie