Aides-soignants : comment prendre soin de soi quand on prend soin des autres ?

Par |Publié le : 11 décembre 2025|Dernière mise à jour : 10 décembre 2025|5 min de lecture|

Métier essentiel mais souvent éprouvant, l’aide-soignant évolue chaque jour au contact de la souffrance, de la dépendance et de la fin de vie. Pourtant, beaucoup peinent encore à reconnaître qu’ils peuvent être eux-mêmes en difficulté. Pour le Dr Jean-Michel Navette, président du réseau ASRA (Aide aux Soignants des Régions Adhérentes), prendre soin de soi n’est pas un luxe : c’est une condition nécessaire pour bien soigner.

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Les aides-soignants constituent un maillon fondamental de la chaîne du soin. Ils assurent une grande partie du confort des patients, veillent à leur hygiène, à leur installation, à leurs repas, et accompagnent les personnes dépendantes dans des gestes du quotidien. « C’est un travail pénible, au sens propre, mais qui ne se voit pas toujours », rappelle le Dr Navette. Malgré leur importance, leur contribution reste souvent sous-estimée, et leur souffrance encore plus.

Ce manque de reconnaissance apparaît jusque dans leur rapport à l’aide. Le réseau ASRA, qui propose un soutien téléphonique 24h/24 aux soignants de plusieurs régions, reçoit finalement peu d’appels émanant d’aides-soignants. Pour le médecin, cela tient à un phénomène bien réel : « Il existe une forme de déni. Beaucoup n’imaginent pas qu’ils peuvent être fragiles, ou considèrent qu’il est honteux de demander de l’aide. » Un réflexe fréquent dans les professions tournées vers le soin, et qui empêche une prise en charge précoce des difficultés.

Les effets d’un quotidien marqué par la contrainte et l’intensité

Les aides-soignants évoluent dans des rythmes de travail qui fragilisent. Les nuits, les week-ends, les journées coupées ou les plannings de dernière minute s’enchaînent dans des équipes déjà sous tension. « Le travail de trois est souvent fait par deux », résume le Dr Navette. La fatigue physique devient vite chronique, d’autant plus qu’elle s’ajoute à la pression du temps et au manque de moyens.

À cette organisation exigeante se superpose une charge émotionnelle particulièrement lourde. La confrontation quotidienne à la maladie, à la souffrance, à la dépendance ou à la mort laisse des traces. Certaines situations peuvent raviver de vieux deuils ou réactiver des vulnérabilités plus anciennes. « La période du Covid a d’ailleurs amplifié ce sentiment d’isolement et de danger, avec des scènes difficiles vécues sans accompagnement suffisant ».

Violences, tensions et souffrance éthique : un cumul qui fragilise

La violence, elle aussi, fait partie du quotidien. Elle peut venir de patients désorientés, de familles parfois agressives, mais aussi de tensions d’équipe ou d’un management qui manque de bienveillance. « Le travail des soignants est violent, et cette violence crée un climat d’injustice et d’isolement », insiste le médecin. Ces tensions répétées sapent la confiance, le moral et l’envie.

Beaucoup d’aides-soignants souffrent également d’une forme de souffrance éthique. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir exercer leur métier comme ils le souhaitent, faute de temps ou de moyens. « Ils ont l’impression de trahir leurs valeurs, de ne pas pouvoir faire les choses correctement. C’est très douloureux pour quelqu’un qui a choisi ce métier par vocation. »

Reconnaître les signes de l’épuisement

L’épuisement professionnel évolue de manière insidieuse. Beaucoup passent d’un enthousiasme fort à une forme de lassitude, puis à une fatigue de plus en plus envahissante, sans identifier les étapes. « Ils franchissent des caps sans s’en rendre compte », souligne le Dr Navette. Avec le temps, certains se détachent de leurs patients, deviennent irritables malgré eux, ou perdent le sens de leur travail.

Le corps parle souvent avant l’esprit. Troubles du sommeil, douleurs diffuses, maux de dos, troubles de la mémoire, difficultés de concentration ou irritabilité doivent alerter. À un stade avancé, certains professionnels se retrouvent dans une forme de sidération, incapables d’agir ou de prendre du recul. Des idées suicidaires peuvent aussi survenir, comme dans d’autres professions du soin. « Ce n’est pas une volonté de mourir, mais une volonté de faire cesser la souffrance », rappelle-t-il.

Prendre soin de soi : un acte essentiel pour durer

Pour le Dr Navette, la première étape est simple en théorie, mais difficile en pratique : demander de l’aide. Le médecin du travail, le médecin traitant, un psychologue, les représentants du personnel, ou des dispositifs comme ASRA peuvent constituer un soutien précieux. « Ce n’est pas une faiblesse, c’est indispensable », insiste-t-il.

Le soutien entre collègues joue également un rôle essentiel. Les échanges après une situation difficile, les débriefings réguliers ou simplement la possibilité de parler de ce que l’on a vécu permettent déjà d’alléger le poids émotionnel. « Parler, c’est commencer à aller mieux. »

Au quotidien, quelques habitudes peuvent aider : retrouver un rythme de sommeil régulier, bouger régulièrement, pratiquer la respiration ou la sophrologie, veiller à son alimentation, préserver sa vie personnelle. « Dès qu’on prend un moment pour s’écouter, la pression redescend », explique-t-il.

Une responsabilité collective

Prendre soin des aides-soignants ne peut toutefois pas reposer uniquement sur eux. « Les établissements ont un rôle majeur : améliorer les effectifs, répartir plus équitablement les tâches, créer des espaces de parole, prévenir les violences, reconnaître réellement le métier et former aux risques psychosociaux », conclut le médecin. Une réflexion autour d’une Année nationale du soignant pourrait d’ailleurs contribuer à mettre en lumière l’ensemble de ces enjeux.

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Peggy Cardin
Peggy Cardin
Journaliste spécialisée en santé
Peggy Cardin-Changizi Journaliste spécialisée en santé depuis plus de vingt ans. Elle traite des sujets de prévention, de santé publique et de médecine au quotidien, avec pour objectif de rendre l'information médicale claire, fiable et accessible à tous. Rédige un contenu scientifique fiable avec des sources vérifiées en respect de notre charte HIC.