Cures express contre le cancer : pourquoi elles séduisent… et pourquoi elles peuvent être dangereuses
Lavements « détox », jeûnes extrêmes, jus crus, régimes draconiens… Ces « cures miracles » circulent massivement en ligne. Le Dr Bruno Raynard, médecin nutritionniste à Gustave Roussy, revient sur leur origine, leurs risques et la manière d’aider les patients à s’y retrouver.

Promesses rapides, récits inspirants, vidéos virales… Les cures express censées “renforcer” ou même remplacer les traitements contre le cancer sont devenues un phénomène massif. Pour le Dr Bruno Raynard, nutritionniste à Gustave Roussy, il faut d’abord comprendre ce qui se joue derrière cet engouement. « Quand on tombe gravement malade, on cherche tout ce qui peut aider. C’est l’instinct de survie. » Rien d’étonnant, donc, à ce que des patients se tournent vers d’autres pistes que la médecine conventionnelle.
Un terreau amplifié par Internet
Si ces pratiques explosent aujourd’hui, c’est avant tout grâce aux réseaux sociaux. « On peut dire à peu près tout et son contraire », note le Dr Raynard. Le volume d’informations disponibles est devenu immense, sans outils simples pour distinguer le fiable du fantaisiste. Dans cette « cacophonie médiatique », chacun peut être trompé : par un discours séduisant, par quelqu’un qui cite des études, ou simplement par une personne qui présente bien.
Le médecin insiste : ce n’est pas un manque d’intelligence mais une situation humaine. Quand l’urgence et la peur s’installent, le besoin d’espoir rend vulnérable aux propositions “naturelles”, “douces” ou “sans effets secondaires” qui circulent en ligne.
Le “naturel”, un argument trompeur
De nombreuses cures reposent sur un même message : ce qui est naturel serait meilleur que ce qui est chimique. Pour le Dr Raynard, cet argument ne tient pas. « Certaines chimiothérapies viennent de plantes », rappelle-t-il. La différence n’est pas entre nature et chimie, mais entre concentration, transformation et évaluation.
Un exemple : le curcuma. Consommé dans l’alimentation, il ne pose aucun problème. Mais extraire une seule molécule, la curcumine, et la concentrer à des doses très élevées change complètement son effet. « Vous transformez quelque chose de naturel en quelque chose de chimique. »
Or surdoser une molécule peut entraîner toxicité, interactions médicamenteuses ou effets secondaires sérieux. Malgré cela, les promoteurs de cures naturelles « refusent souvent les règles fondamentales de l’évaluation scientifique », parfois par peur, parfois par méconnaissance, parfois par dogme.
Pendant les traitements, les régimes stricts peuvent aggraver la situation
Jeûne strict, alimentation 100 % crue, suppression totale du sucre ou de catégories d’aliments… Beaucoup de cures très médiatisées encouragent des restrictions importantes.
Problème : pendant un traitement anticancéreux, ces changements très rapides peuvent être dangereux. La temporalité n’est pas la même que dans la prévention : là où les modifications d’hygiène de vie agissent sur des mois ou des années, la chimiothérapie se déroule en quelques semaines, avec un objectif très clair.
« Le but principal est de limiter au maximum la fonte musculaire. » C’est un facteur pronostique essentiel. Toute restriction stricte diminue les apports caloriques et protéiques et augmente le risque de sarcopénie. Le médecin est catégorique : ce n’est pas en supprimant totalement le sucre, ni même en se nourrissant d’aliments ultra-sains, qu’on améliore l’efficacité d’un traitement. « Ce n’est pas manger du Nutella toute la journée qui va empêcher la chimio de fonctionner », rappelle-t-il avec humour.
Il insiste surtout sur l’idée de ne pas « se tromper d’ennemi ». Pendant la chimiothérapie, l’objectif n’est pas la minceur ou la correction du métabolisme, mais la préservation de la masse musculaire et de l’état général.
Un besoin de contrôle… mais un mauvais moment pour changer tout son mode de vie
Beaucoup de patients adoptent des régimes très stricts pour reprendre un peu de contrôle sur leur maladie. Le Dr Raynard comprend ce besoin : « Oui, c’est entendable, puisque ça existe. » Mais le timing est mauvais.
« Ce n’est pas le moment de commencer des choses délirantes. Personne ne prouve que ça marche, et c’est potentiellement dangereux. » Les témoignages individuels de “guérison grâce à telle cure” ne constituent pas des preuves. À ses yeux, ils risquent surtout d’induire en erreur des personnes déjà fragilisées.
Le rôle clé du dialogue et de la vigilance
Pour éviter les dérives, le dialogue reste essentiel. En pratique, le temps en consultation est limité, mais le patient doit pouvoir exprimer ses inquiétudes et ses envies — auprès du médecin, mais aussi d’une diététicienne, d’une infirmière, d’un IPA.
Quand un patient veut malgré tout essayer une cure alternative, le médecin propose une approche « de négociation ». Il explique les données scientifiques, les risques potentiels et la nécessité d’une surveillance : poids, force musculaire, carences, état général… Si un signe d’alerte apparaît, la cure doit être arrêtée. « Quand on prend le temps d’expliquer, les gens entendent. Si on reste fermé, ils font n’importe quoi. »
Enfin, le Dr Raynard insiste sur l’importance de développer l’esprit critique : vérifier les preuves, comprendre d’où viennent les informations, distinguer une étude chez la souris d’une étude humaine, reconnaître qu’un témoignage n’est pas une donnée scientifique. « Si le traitement miracle existait, on l’aurait déjà sorti. »
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