Maux de dos, arthrite, migraines, maladies auto-immunes, cancers… les douleurs inflammatoires chroniques représentent un véritable enjeu de santé publique. Même si les traitements pharmaceutiques actuels à base d’opiacés (comme la morphine ou ses dérivés) sont efficaces pour calmer les douleurs, ils ne sont pas sans danger compte tenu de leur caractère addictif. Une équipe du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) dirigée par le Professeur Patrick Couvreur vient de mettre au point un nouveau nanomédicament pour traiter les douleurs sans risque d’accoutumance.
L’union des enképhalines et d’un lipide
Depuis une dizaine d’années, les chercheurs spécialisés dans le traitement de la douleur se concentrent sur l’exploitation potentielle des neuropeptides opioïdes endogènes pour mettre au point de nouveaux médicaments sans risque d’accoutumance.
Ces peptides (petites protéines) sont naturellement retrouvés dans notre système nerveux central et permettent aux neurones de communiquer entre eux. Ce sont des molécules antalgiques naturelles qui sont sécrétées dans l’organisme lorsqu’un intense stimulus douloureux est ressenti (se couper, tomber à terre, se brûler, etc.) ou lors d’un effort physique intense.
Parmi eux, on distingue les enképhalines qui se fixent sur des récepteurs opioïdes à la surface des neurones de la douleur pour stopper le départ du message de la douleur vers le cerveau.
Malgré de nombreuses recherches sur ces enképhalines, les chercheurs sont toujours confrontés à un obstacle : la molécule est rapidement métabolisée par l’organisme pour finalement, perdre son activité pharmacologique.
Pour surmonter cet obstacle, Patrick Couvreur de l’institut Galien Paris-Sud et ses collaborateurs ont réussi à synthétiser une combinaison de leu-enképhaline avec un lipide naturel nommé squalène.
Cette association, de la taille du nanomètre (1 milliardième de mètre), permet d’obtenir une leu-enképhaline encapsulée dans une armure de lipide la protégeant de la métabolisation (ou dégradation par des enzymes digestives).
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Une action locale pour protéger le système nerveux central
En administrant par voie intraveineuse ce nanomédicament chez des rats souffrant d’inflammation chronique au niveau de la patte arrière droite, les experts se sont rendus compte que l’activité antidouleur de la nanoparticule est efficace sur le site de l’inflammation. Les particules se rendent à cet endroit précis, car la perméabilité des vaisseaux y est plus importante.
Contre toutes attentes, les chercheurs se sont également aperçus que l’effet antidouleur durait plus longtemps que dans le cas d’une injection de morphine.
Pourquoi cette enképhaline ne présente-t-elle pas de risque d’accoutumance ?
Contrairement à la morphine, l’enképhaline n’atteint pas les récepteurs aux opioïdes situés dans le cerveau, car elle est trop volumineuse pour passer la barrière hémato-encéphalique.
À savoir ! La barrière hémato-encéphalique (BHE) est un groupement de cellules jointes bloquant le passage de certaines molécules du sang vers le cerveau. Elle joue un rôle protecteur à l’égard du système nerveux en empêchant le passage de certains agents pathogènes ou toxiques. La plupart des molécules sont arrêtées sauf l’eau, l’oxygène, le sucre, le café, l’alcool, la nicotine, l’insuline, certains lipides, les psychotropes et certains médicaments. Elle permet aussi au cerveau de se débarrasser de ses déchets. Pour augmenter la perméabilité de cette barrière, il est possible d’utiliser les ultrasons ou augmenter la température des nanoparticules qui viendra dilater les pores de la BHE.
Les chercheurs ont vérifié cette connaissance en administrant, chez des souris, le nouveau nanomédicament et des inhibiteurs des récepteurs aux opiacés périphériques. L’effet antidouleur observé était nul dans ces conditions d’expérience.
Avant de pouvoir mener des études sur l’homme, il faut désormais à finaliser le développement préclinique (définir la posologie, la fréquence d’administration, le moment propice pour l’injection) et montrer la non-toxicité de cette molécule.
Enfin, dans leur étude, les chercheurs concluent que « c’est une nouvelle perspective intéressante pour un traitement efficace des douleurs intenses évitant les effets indésirables graves associés à la morphine ou à des opioïdes synthétiques apparentés. En raison de la polyvalence de l’approche, l’application de ce système d’administration à d’autres molécules peptidiques thérapeutiques peut être raisonnablement envisagée ».
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Julie P., Journaliste scientifique