Dans la recherche médicale, il arrive que certains spécialistes travaillent sur des sujets d’étude qui flirtent avec les frontières du réel. Sont-ils visionnaires ou inconscients ? Telle est la question. Récemment, l’un de ces chercheurs, dont la spécialité est la neurochirurgie, a beaucoup fait parler de lui dans les médias. Son nom ? Le Professeur Sergio Canavero. Son projet ? Il a annoncé, dans un congrès de chirurgie qu’il pourra greffer, d’ici deux ans, une tête humaine vivante sur le corps d’un donneur en état de mort cérébrale. Éclairage sur ce sujet très controversé autant sur le plan technique qu’éthique.
Une première greffe de tête sur des cadavres
Le 17 novembre 2017, Sergio Canavero a annoncé que la première greffe de tête a été réalisée sur deux cadavres en Chine.
Supervisée par le chirurgien Xiaoping Ren de l’université médicale d’Harbin, l’intervention, sur deux patients chinois décédés, aurait duré 18 heures et mobilisé une équipe de plus d’une vingtaine de personnes.
Maintenant que la Chine a effectué la première greffe de tête avec fusion des moelles épinières, tout le monde peut se rendre compte que j’avais raison et que les autres avaient tort. Aujourd’hui, je peux lancer le projet Brave (Brain and Anastomose venture) qui vise à réaliser la première greffe totale de cerveau de l’histoire de l’humanité. C’est en réalité une greffe meningo-encéphalique parce que nous n’avons pas de technologie permettant de relier les veines du pont, précise-t-il dans une interview avec la rédaction du Quotidien du médecin.
À savoir ! Les méninges sont les trois enveloppes protégeant le cerveau et la moelle épinière. On distingue, de l’extérieur vers l’intérieur : la dure-mère, l’arachnoïde qui contient le liquide céphalo-rachidien et enfin, la pie mère.
Les veines du pont sont des veines superficielles présentes au niveau de la dure-mère et de l’arachnoïde.
Quels gestes opératoires ont été effectués pour relier la tête à ce nouveau corps ?
« Les nerfs, les vaisseaux sanguins et la colonne vertébrale ont été parfaitement connectés. Le larynx, les nerfs phréniques, rien n’a été endommagé » souligne Sergio Canavero.
Travailler sur des corps post-mortem et des individus vivants est cependant bien différent. L’annonce par le neurochirurgien de la prochaine première greffe de tête d’un humain, in vivo, a entraîné immédiatement une levée de bouclier de la part de certains neurochirurgiens français.
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La controverse technique et éthique
Dès 2013, le Professeur Canavero a livré quelques détails de sa méthode de transplantation de tête. Il souligne notamment la difficulté principale de l’opération qui est la fusion des moelles épinières du receveur et du donneur. Selon lui, il faut refroidir pour conserver les tissus, couper puis recoller en ayant recours à la chimie et l’électricité.
Sa première expérience sur des corps inanimés lui a offert la possibilité de croire qu’il pourrait réaliser l’opération in vivo.
Cependant, des spécialistes remettent en cause ce protocole d’intervention chirurgicale omettant que :
- La moelle épinière ne peut pas être « réparée » ;
- Le nerf phrénique, responsable de la respiration, ne sera pas fonctionnelle immédiatement ;
- Les deux parties, tête et corps, ne peuvent pas être privés de circulation sanguine ;
- Les mécanismes de rejet immunitaire poseront des problèmes majeurs.
À savoir ! La moelle épinière appartient au système nerveux central, tout comme le cerveau. Logée dans les vertèbres, son rôle est de distribuer les nerfs sensitifs et moteurs entre le cerveau et le reste du corps. Aujourd’hui, il est impossible de faire repousser naturellement les fibres nerveuses chez les personnes présentant des traumatismes au niveau de la moelle épinière.
Pour le Professeur Chneiweiss, spécialisé en neurologie et président du comité d’éthique de l’INSERM qui s’est confié dans une interview du Quotidien du Médecin :
« C’est une honte. Il abuse de la crédulité d’un grand nombre de gens paralysés. Il n’y a aucune crédibilité scientifique à ce projet et cela va à l’encontre de tous les principes d’éthique. Sans base scientifique, il ne peut y avoir de consentement éclairé. Le principe de non-malfaisance est non respecté, compte tenu du risque extrêmement élevé de décès. Le Pr Canavero n’arrive à financer ses folies qu’en faisant beaucoup de tapage et de théâtre. »
À savoir ! Les 4 principes de l’éthique médical sont : le principe d’autonomie affirmant que chaque patient est une personne autonome, le principe de bienfaisance visant à assurer le bien-être des personnes, le principe de non-malfaisance reprenant la locution latine « le primum non nocere » (« ne pas nuire ») de la tradition hippocratique, et enfin, le principe de justice consistant à na pas faire de discriminations.
Alors, inconscient ou visionnaire ?
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Julie P., Journaliste scientifique
– L’éthique : une problématique européenne. senat.fr. Consulté le 27 novembre 2017.