Chaque année, plus de 100 000 Français sont touchés par une crise cardiaque. Mais, quel est le mécanisme moléculaire expliquant le lien entre l’absence d’oxygénation et la mort des cellules cardiaques ? C’est en se penchant sur cette question complexe qu’une équipe franco-suisse vient de découvrir une molécule lipidique clef : le Déoxydihydrocéramide. Focus sur l’étude et ses implications thérapeutiques.
Nécrose du tissu cardiaque et accumulation de lipides
L’infarctus du myocarde, communément appelé crise cardiaque, est provoqué par un caillot de qui bloque la circulation du sang dans les artères qui irriguent le cœur. Dépourvues d’oxygène, les cellules du tissu cardiaque se nécrosent et meurent.
Nous ne sommes pas tous égaux face à cette nécrose tissulaire et certaines espèces animales semblent mieux supporter ce phénomène. Les vers, par exemple, peuvent vivre trois jours sans oxygénation et certaines tortues peuvent survivre plusieurs mois dans ces conditions.
Une équipe pluridisciplinaire de l’université de Genève (UNIGE), de l’université de Lyon et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a étudié, à l’échelle moléculaire, les mécanismes de nécrose chez le ver et a mis en évidence une molécule impliquée dans le phénomène de nécrose : il s’agit d’une molécule lipidique : le déoxydihydrocéramide.
La privation d’oxygène au niveau de la cellule provoque une accumulation de céramide qui bloque le fonctionnement cellulaire. Et entraine la destruction irréversible du tissu cardiaque.
À savoir ! Une céramide est un sphingolipide résultant de la combinaison d’un acide gras avec la sphingosine (alcool gras). Les sphingolipides sont des lipides complexes entrant dans la composition des membranes cellulaires qui jouent un rôle important dans la transmission des signaux et la reconnaissance des cellules. La sphingomyéline, constituant principal de la gaine de myéline des nerfs, est formée par une unité céramide.
« En utilisant la spectrométrie de masse, nous avons observé que ce céramide bloquait certains complexes protéiques et provoquait des défauts dans le cytosquelette des cellules et le bon fonctionnement des mitochondries, provoquant une nécrose tissulaire » explique Howard Riezman, professeur au département de biochimie de la faculté des sciences de l’UNIGE et responsable de ces travaux.
À savoir ! Le cytosquelette de la cellule est, en quelque sorte, le squelette de la cellule. Il est formé d’un réseau complexe de filaments protéiques intracellulaires. Cette architecture confère à la cellule sa rigidité tout en permettant aux organites de la cellule (mitochondries, réticulum endoplasmique, vésicules, appareil de Golgi, etc.) de se fixer dans la cellule. Le cytosquelette se réorganise en permanence pour assurer les mouvements à l’intérieur (déplacement des organites, mitose) et à l’extérieur (protubérances, adhésion) de la cellule.
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Inhiber la production du lipide pour limiter la nécrose cellulaire grâce à le déoxydihydrocéramide
Pour aller plus loin dans leurs investigations, les chercheurs ont décidé d’insérer dans le génome du ver une mutation génétique humaine reproduisant une maladie héréditaire rare dans laquelle se produit une augmentation de la quantité de lipides de type déoxydihydrocéramide. Résultats ? Les vers sont devenus extrêmement sensibles au manque d’oxygène.
Ensuite, les chercheurs ont étudié deux groupes de souris : un groupe de souris recevant une molécule inhibant la production du déoxydihydrocéramide et l’autre groupe, sans inhibiteur.
En provoquant un infarctus du myocarde chez les deux groupes de souris, ils se sont aperçus que le groupe de rongeurs ayant reçu la molécule qui inhibe la production de la molécule lipidique présentait une diminution de 30% de nécrose du tissu cardiaque.
Cette découverte est très prometteuse, car la mise au point d’une molécule empêchant la formation de déoxydihydrocéramide permettrait de contenir l’étendue des nécroses tissulaires provoquées par un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral.
Cependant, les chercheurs ont utilisé ici une molécule qui n’est pas utilisable dans des essais cliniques chez l’homme puisqu’elle inhiberait la synthèse de toutes les céramides présentes dans l’organisme.
La prochaine étape est donc de mettre au point une molécule qui inhiberait de façon spécifique le déoxydihydrocéramide.
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Julie P., Journaliste scientifique