Pendant la formation du cerveau, d’innombrables connexions entre les neurones se forment. S’en suit un processus fin de sélection et de suppression des connexions non fonctionnelles. Une étude publiée dans Science explique comment se déroule cette sélection et quel en est l’acteur principal. Le récepteur à adénosine est responsable du maintien et de la suppression de certaines synapses. Un rôle primordial dans le développement cérébral qui pourrait lui conférer des implications dans l’émergence de troubles cognitifs.
Le cerveau en développement produit massivement des synapses
Au cours du développement, des millions de connexions se forment entre les neurones qui composent le cerveau. Il est estimé que près de deux millions de connexions se créent par jour pendant une période très critique appelée synaptogenèse. Chez l’Homme, elle a lieu à la fin de la vie intra-utérine ou dans les tout premiers moments après la naissance.
Le terme synaptogenèse fait référence à la création des synapses. Les synapses sont les points de contacts entre deux neurones. Elles permettent la transmission d’information de l’un à l’autre. Cette transmission d’information passe par la libération de molécules, appelées neurotransmetteurs, par le neurone en amont de la synapse à destination du neurone en aval du point de contact. Le neurone en aval possède des récepteurs pour ces neurotransmetteurs, appelés récepteurs synaptiques (ils sont dit postsynaptiques s’ils sont situés sur le neurone en aval et présynaptiques s’ils sont sur le neurone en amont). C’est la fixation du neurotransmetteur sur le récepteur postsynaptique qui va créer une cascade de réactions chimiques permettant la transmission de l’information.
La production de synapses en surnombre est suivie d’une période d’élagage et de sélection des synapses. Cette période est primordiale pour simplifier les connexions entre les neurones et optimiser la performance du cerveau. Durant ce processus de sélection, seules les synapses actives, c’est-à-dire capables de libérer et de capter des neurotransmetteurs, sont conservées. Les autres sont détruites.
Le récepteur à adénosine A2A, régule le nombre de synapses
Jusqu’à présent, le mécanisme impliqué dans la sélection des synapses lors de la synaptogenèse était mal connu. Une étude publiée en ce début d’année dans la revue Science s’est penchée sur la question en se focalisant sur un certain type de synapses : les synapses GABaergiques. Il s’agit de points de contact entre deux neurones au sein desquels la molécule GABA (acide gamma-aminobutyrique) sert de messager chimique, de neurotransmetteur. Ce type de synapses est très important dans le développement cérébral car elles sont les premières à être formées et leur activité est cruciale dans la construction des circuits neuronaux. De plus, d’autres molécules peuvent également être libérées par ces neurones au niveau de la synapse : il s’agit de deux dérivés de l’adénosine. L’adénosine est captée par un récepteur postsynaptique appelé A2A. Les chercheurs ont travaillé avec des modèles murins pour étudier comment les synapses sont sélectionnés au cours de la synaptogenèse.
Les auteurs ont découvert qu’en cas de suppression des récepteurs A2A, de leur blocage pharmacologique ou de suppression de la production d’adénosine, les sites pré et postsynaptiques des synapses GABaergiques sont fortement déstabilisés. Par ailleurs, si les récepteurs A2A sont inactifs pendant 20 minutes, la déstabilisation des synapses est irréversible et mène à leur destruction. Les auteurs mettent en évidence que l’activation des récepteurs A2A est nécessaire et suffisante à la stabilisation des synapses GABaergiques tandis que l’activation seule des récepteur GABaergiques n’est pas suffisante si les récepteurs A2A sont inactifs.
Ainsi, les récepteurs A2A sont capables de détecter les synapses actives et de déclencher l’élimination des synapses après une période d’inactivité. Ce mécanisme est valable pour les synapses GABaergiques mais des études sont nécessaires pour déterminer si les synapses impliquant d’autres neurotransmetteurs tels que le glutamate ou la sérotonine sont sélectionnées par le même mécanisme.
Que se passe-t-il si le récepteur A2A dysfonctionne ?
Dans ce travail, les chercheurs se sont intéressés au rôle de l’adénosine car des études antérieures ont montré qu’une consommation élevée de caféine pendant la synaptogénèse altère le fonctionnement du récepteur A2A. En effet, la caféine, substance psychoactive énormément consommée à travers le monde, est un bloqueur des récepteurs A2A. Sur les modèles animaux, le dysfonctionnement des récepteurs A2A mène à des troubles cognitifs sur le long terme. L’exposition à la caféine pendant la synaptogenèse pourrait induire une suppression anarchique des synapses avec des effets délétères à long terme. Chez l’Homme, il n’y a pas encore de données permettant de déterminer si un phénomène similaire peut se produire, d’autant plus que, chez la femme enceinte, la production de l’enzyme (protéine qui va accélérer ou réorienter une réaction chimique) qui dégrade la caféine est réduite.
Alexia F., Docteure en Neurosciences
– Développement cérébral : comment s’effectue le tri des synapses ? inserm.fr. Consulté le 4 février 2022.