En seulement 7 ans, la consommation de médicaments psychotropes a presque doublé chez les enfants et les adolescents français. Ce chiffre alarmant est inscrit dans le rapport « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? », publié début mars 2023 par le HCFEA (Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge). Décryptage.
Santé mentale des enfants et des adolescents et consommation de médicaments psychotropes
Le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA) a compilé les données de santé entre 2014 et 2021 pour évaluer la santé mentale des enfants et des adolescents français. Les données analysées révèlent que la consommation de médicaments psychotropes a presque doublé sur la période considérée, avec des variations importantes selon les classes médicamenteuses :
- Une hausse de 62,6 % pour les médicaments antidépresseurs ;
- Une hausse de 78,1 % pour les médicaments psychostimulants ;
- Une hausse de 27,7 % pour les médicaments anticholinergiques (qui regroupent des médicaments contre les allergies, les nausées mais aussi des médicaments à visée antidépressive) ;
- Une hausse de 9,5 % pour les médicaments dopaminergiques (utilisés dans le cadre de la maladie de Parkinson (lien vers fiche : https://www.sante-sur-le-net.com/maladies/neurologie/maladie-parkinson/)) ;
- Une hausse de 155,5 % pour les médicaments hypnotiques et sédatifs.
Rien que pour l’année 2021, l’augmentation de la consommation des médicaments psychotropes chez l’enfant était de 7.5 % pour les antipsychotiques, de 16 % pour les anxiolytiques, de 23 % pour les antidépresseurs et jusqu’à 224 % pour les hypnotiques. Des chiffres inquiétants, qui concernent des dizaines de milliers d’enfants à l’échelle nationale, avec par exemple pas moins de 34 791 délivrances rien que pour les médicaments antipsychotiques !
Des prescriptions de psychotropes éloignées des recommandations en santé mentale
Comment expliquer un tel phénomène ? La France est et reste depuis plusieurs années le pays le plus consommateur de médicaments psychotropes dans le monde. Mais les augmentations observées chez les enfants et les adolescents sont très largement supérieures aux tendances de la population générale. Ces données confirment que les enfants et les adolescents sont plus exposés que les adultes à la souffrance psychique et aux troubles de la santé mentale, mais aussi plus exposés à la médication. Alors que dans de nombreux pays du monde, la tendance est de réduire les prescriptions de traitements pharmacologiques chez l’enfant, en France, elle s’accentue à la hausse.
Parallèlement, les consultations spécialisées et les thérapies non pharmacologiques destinées aux enfants et aux adolescents stagnent, voire régressent. Pourtant, les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) sont claires. En première intention, les troubles mentaux de l’enfant doivent être pris en charge par des thérapies non médicamenteuses : les pratiques psychothérapeutiques ; les pratiques éducatives et les pratiques de prévention et d’intervention sociale. Les traitements médicamenteux ne peuvent intervenir qu’en seconde intention, et toujours en association avec les traitements de première intention.
Plus de moyens de pédopsychiatrie pour réduire le recours aux psychotropes
L’exemple des médicaments psychostimulants met en évidence les écarts devenus presque systématiques par rapport aux recommandations et aux autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Les données révèlent par exemple des prescriptions avant l’âge recommandé de 6 ans, des durées de traitement longues pour des médicaments indiqués sur des durées courtes, des prescriptions hors diagnostic ou pour des diagnostics différents des indications thérapeutiques des médicaments. Certains médicaments, comme des antiparkinsoniens sont prescrits à des enfants, alors même que ces médicaments ne sont pas destinés à la population pédiatrique.
Certains enfants apparaissent plus exposés que les autres à ces médicaments, notamment les enfants les plus jeunes de leur classe, les enfants très jeunes, et les enfants issus de milieux défavorisés. Les difficultés d’accès à des soins spécialisés, l’insuffisance de spécialistes de la santé mentale des enfants, le manque d’information des familles mais aussi de formation des professionnels de l’éducation et des secteurs médico-sociaux sont autant d’explications potentielles à cette situation alarmante. Le HCFEA préconise justement une augmentation des moyens dédiés à la pédopsychiatrie et au secteur médico-social pour favoriser les approches non médicamenteuses et réduire les prescriptions de médicaments psychotropes chez l’enfant.
Estelle B., Docteur en Pharmacie