Depuis plusieurs années, les spécialistes en neurosciences et en science du langage discutent et argumentent sur la capacité, ou non, du bilinguisme à accroître la flexibilité de certaines exécutions cognitives chez les enfants. Une dernière étude, parue dans la revue Child Development, vient de montrer que les enfants bilingues ayant un trouble du spectre autistique (TSA) ont plus de facilité à passer d’une tâche à l’autre comparativement aux enfants autistes maîtrisant une seule langue. Zoom sur une étude qui suscite beaucoup d’enthousiasme et d’espoir.
Qu’est-ce que le déficit des fonctions exécutives ?
Malgré la progression très importante des connaissances sur le trouble du spectre autistique ces dix dernières années, il est encore très difficile de définir précisément les perturbations neuropsychologiques à l’origine du TSA.
Trois causes majoritaires sont aujourd’hui proposées :
- Le déficit de mentalisation (ou déficit de la théorie de l’esprit) ;
- Le déficit des fonctions exécutives ;
- La faible cohérence Centrale (FCC).
Dans cette étude qui cherche à démontrer les bénéfices du bilinguisme dans le développement des enfants atteints de TSA, les chercheuses ont raisonné avec la cause proposant le déficit des fonctions exécutives.
Concrètement, en quoi consiste le déficit des fonctions cognitives ?
Certains chercheurs ont fait l’hypothèse que l’autisme serait caractérisé par des difficultés neuropsychologiques dans la planification et le contrôle du comportement, soit un déficit des fonctions exécutives.
À savoir ! Les Fonctions Exécutives (FE) sont définies comme « un ensemble de capacités impliquées dans le maintien de stratégies appropriées à la résolution de problèmes afin d’atteindre un objectif futur ».
Dès 1978, les travaux d’Antonio Damasio et Ralph Maurer ont relié les caractéristiques de l’autisme à celles observées chez des patients présentant certaines lésions frontales.
Des nombreuses recherches ont confirmé l’existence de déficits des fonctions exécutives dans l’autisme comme, entre autres, un déficit de la mémoire de travail, de la flexibilité cognitive ou encore de la planification.
Cependant, les études sur les corrélations entre anomalies cérébrales (anatomiques et/ou physiologiques) et performances aux tests des fonctions exécutives chez les personnes atteintes de TSA sont encore limitées. Comme ce modèle n’est pas spécifique à l’autisme et que son universalité n’est pas encore établie, il reste encore en cours de discussion et de validation par tous les membres de la communauté scientifique travaillant activement sur le sujet.
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Des premiers résultats très encourageants
Pour mener à bien cette étude, Ana Maria Gonzalez Barrero et Aparna Nadig du centre de recherche sur le cerveau, langage et musique de l’université McGill de Montréal, ont réuni 40 enfants âgés de 6 à 9 ans. Ils les ont divisés en 4 groupes en fonction de leur maitrise d’une ou de deux langues et en fonction du fait qu’ils soient diagnostiqués autistes ou pas. A l’aide d’un ordinateur, les chercheuses leur ont demandé de classer des objets en fonction de leur couleur puis de classer, ces mêmes objets, en fonction de leur forme.
À savoir ! Les chercheurs ont utilisé ici le test du tri des cartes avec changement dimensionnel permettant de mesurer la fonction exécutive de participants de différents âges. Dans la version standard, les enfants doivent trier une série de cartes selon une dimension (par exemple, la couleur), puis selon l’autre (par exemple, la forme). La plupart des enfants de 3 ans persévèrent pendant la phase de changement de consigne comme les patients présentant des lésions au niveau de leur cortex préfrontal. À l’âge de 5 ans, la plupart des enfants change d’activité de tri quand on leur demande. La performance à ce test fournit un indice du développement de la fonction exécutive et il est altéré chez les enfants présentant des troubles tels que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et l’autisme.
Quelles sont leurs observations ?
Contre toute attente, les enfants présentant un TSA et bilingues ont obtenu de meilleurs résultats lorsque venait le temps du changement de consigne comparativement aux enfants autistes ne parlant qu’une seule langue.
Cependant, en observant les enfants autistes dans leur quotidien, les chercheuses n’ont pas pu déterminer si leur bilinguisme leur permettait d’améliorer leur flexibilité cognitive dans la vie de tous les jours.
« Il est essentiel que nous disposions d’un plus grand nombre de données probantes auxquelles les familles peuvent se fier lorsqu’elles prennent des décisions importantes concernant l’apprentissage et l’éducation de leurs enfants, puisqu’on leur dit souvent qu’un enfant présentant un TSA exposé à plus d’une langue pourrait connaître de plus grandes difficultés langagières » précise Ana Maria Gonzalez-Barrero dans un communiqué de presse de l’université McGill de Montréal.
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Un suivi plus long pour confirmer les résultats
Compte tenu des conditions de l’expérience (petite taille de l’échantillon, test furtif), les chercheuses veulent poursuivre leurs investigations sur ce thème des bénéfices du bilinguisme sur le développement des enfants autistes.
Pour se faire, elles vont suivre les enfants présentant un TSA ayant participé à cette étude au cours des trois à cinq prochaines années.
Leurs objectifs sera d’évaluer les avantages du bilinguisme dans leur développement et de mesurer comment cette maitrise de deux langues leur permet également de rencontrer moins de difficultés d’adaptation dans leur vie quotidienne.
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Julie P., Journaliste scientifique
– Modèles neuropsychologiques dans l’autisme et les troubles envahissants du développement. Cairn Info. G.Valeri. Consulté le 23 janvier 2018.