On a longtemps cru que la répétition ou les émotions sont les seuls facteurs favorisant les processus de mémorisation sur le très long terme. Dans une récente étude publiée dans la revue Cognition, des chercheurs du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) de Toulouse nous montrent qu’il est aussi possible de retenir des images à une dizaine d’années d’intervalle sans même avoir utilisé le levier de la répétition ou de l’émoi. Zoom sur ces travaux qui nous rappellent encore une fois que les mécanismes de mémoires ne sont pas tous élucidés.
Contexte de l’étude
Dans cette étude, les chercheurs, supervisés par Simon Thorpe du Centre de Recherche Cerveau et Cognition de l’université de Toulouse III- Paul Sabatier, ont évalué la robustesse de la mémoire implicite sur 24 sujets.
A savoir ! La distinction entre la mémoire « explicite » et la mémoire « implicite » n’est apparue qu’en 1985 pour décrire les deux processus de mise à l’épreuve de la mémoire dans des tests cognitifs. Ainsi, la mémoire explicite est mesurée lorsque l’on a recours à des tests intentionnels de mémorisation. La mémoire implicite est quant à elle testée lors d’exercices cognitifs où aucune consigne de mémorisation n’a été indiquée au participant.
Entre 2002 et 2008, des chercheurs de l’hôpital universitaire de la Timone de Marseille avait mené des tests cognitifs, dont certains dédiés à la reconnaissance visuelle, sur des participants en bonne santé.
Lors de ces tests, les participants avaient été sollicités avec des images de type « clipart » mais sans aucune consigne de les mémoriser.
Plus d’une dizaine d’années après, allaient-ils se souvenir de ces dessins colorés vus 1 à 3 fois pendant seulement quelques secondes ?
Lire aussi – Sommeil et mémoire à long terme
Une image restée en mémoire pendant plus de 10 ans
Après avoir pu reprendre contact avec 24 d’entre eux, les chercheurs leur ont demandé d’identifier, parmi des images présentées par paires, laquelle des deux avait été montrée lors des tests initiaux.
Trois catégories d’images sont présentées :
- Deux images complètement différentes (ex : un coq et une grue) ;
- Deux images proches mais dessinées différemment ;
- Et enfin, deux figures abstraites.
Une fois le test réalisé sur 144 paires d’images, les résultats montrent que le pourcentage de réponses correctes obtenues est en moyenne de 55 %.
Une moyenne qui est d’ailleurs supérieure, de 5 points, à celle du « facteur chance » obtenue grâce à un groupe contrôle. En effet, les chercheurs se sont assurés d’éliminer le paramètre « hasard » en testant, en parallèle, un groupe de personnes qui n’avaient pas réalisé les tests initiaux.
Parmi les participants testés, 8 d’entre eux se sont démarqués nettement en identifiant, avec plus de 60% de réussite, les images vues dans le passé.
Les chercheurs ont découvert que la performance de mémorisation des participants est :
- Inversement proportionnelle à leur âge ;
- Indépendante de leur sexe.
Lire aussi – La lutéine des légumes verts : nouvelle alliée de notre cerveau
Les enjeux de cette découverte
Globalement, cette étude montre que le cerveau est capable de se rappeler d’images simples vues quelques secondes jusqu’à 14 ans plus tard et ceci, malgré le déclin cognitif lié à l’âge. Pour les chercheurs, cette découverte semble correspondre avec certains modèles neuronaux montrant que quelques expositions à des stimuli simples peuvent suffire à créer des neurones hypersélectifs.
Ces neurones pourraient rester silencieux, pendant des dizaines d’années, puis se réactiver jusqu’à ce qu’une stimulation très proche de celle de l’apprentissage initial leur soit présentée.
A savoir ! Ces neurones hypersélectifs possède une fonction synaptique (zone de contact entre deux neurones) répondant au modèle de la « plasticité synaptique dépendant des temps de décharge » (en anglais, Spike timing dependent plasticity, ou STDP). Dans ce modèle, les neurones auraient la capacité de reconnaître l’information qui leur arrive en premier.
Reste désormais à savoir comment cette donnée s’inscrit aussi rapidement dans notre cerveau et ceci, pour des dizaines années.
Lire aussi – Améliorer la mémoire par une stimulation électrique du cerveau ?
Julie P., Journaliste scientifique
– Extremely long-term memory and familiarity after 12 years. C. Lazarbal et al. Consulté le 20 novembre 2017.
– Lauréat d’un ERC Advanced Grant 2012. Simon Thorpe. CNRS. Consulté le 23 novembre 2017.