Évolution de la consommation d’alcool chez les jeunes : 20 ans de changements
Moins de vin, moins de consommation quotidienne, mais toujours de fortes ivresses ponctuelles : en vingt ans, le rapport des jeunes à l’alcool s’est transformé. Le Dr Hervé Martini, secrétaire général d’Addictions France, décrypte cette évolution et alerte sur les risques encore trop présents.

Depuis le début des années 2000, les enquêtes de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et l’étude européenne ESPAD montrent une baisse régulière de la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis chez les jeunes. « On voit une baisse régulière de la tendance de l’usage quotidien et de l’expérimentation de la consommation d’alcool », constate le Dr Hervé Martini.
Un recul global, mais l’alcool reste très présent
Cette diminution ne signifie pas que l’alcool a disparu de leur quotidien. En 2024, environ 68 % des jeunes de 16 ans avaient déjà goûté de l’alcool, contre 85 % en Allemagne et 83 % en Autriche. L’Islande, en revanche, affiche seulement 41 % de jeunes expérimentateurs grâce à des politiques plus strictes de prévention et de contrôle de la vente. L’âge du premier verre reste stable, autour de 14-15 ans, souvent dans un cadre familial. « Il y avait l’habitude de faire goûter notamment du champagne aux enfants lors d’événements familiaux. Cela a beaucoup diminué », note le spécialist
L’essor du binge drinking
Si la consommation régulière recule, une autre pratique est apparue dès les années 2000 : l’alcoolisation ponctuelle massive, ou binge drinking. Importée des pays anglo-saxons, elle consiste à boire rapidement de grandes quantités avec pour objectif l’ivresse. « On a vu des jeunes de 13 ou 14 ans partager un pack de bière dans un parc pour se “défoncer”. C’est une consommation excessive avec pour vocation d’être dans un état second », décrit le Dr Martini.
Ce comportement s’oppose à une consommation régulière, souvent familiale. Le binge drinking a marqué une génération avant de reculer progressivement, mais reste fréquent : environ un jeune de 16 ans sur cinq déclare encore un épisode de binge drinking dans le mois. L’impact sur le cerveau en développement est majeur. « Chaque “shoot” d’alcool entraîne des dégâts au niveau du cerveau, avec notamment des troubles cognitifs qui peuvent persister », alerte le Dr Martini.
Des boissons qui se transforment
Les types de boissons consommées se sont également transformés. Le vin, associé à l’âge adulte, attire peu les adolescents. Ils privilégient la bière, les spiritueux et surtout des produits créés pour eux. « Les jeunes ne consomment plus de vin. Ils vont plutôt vers la bière, les boissons sucrées alcoolisées ou les spiritueux comme la vodka », explique le Dr Martini. L’industrie a multiplié les produits attractifs : prémix au goût de sirop, hard seltzers servis glacés, ou associations avec des boissons énergisantes type vodka-Red Bull. Ces innovations marketing visent clairement à séduire une cible jeune.
Des risques bien réels
La baisse des consommations s’explique par plusieurs facteurs : campagnes de prévention, moindre consommation parentale, ou encore influence des réseaux sociaux qui exposent plus facilement les excès. « Tout se sait via les réseaux sociaux. T’as vu comme t’étais ? T’étais minable », illustre le Dr Martini. Mais les risques restent importants.
« Plus on consomme tôt de l’alcool, plus il y a un risque de dépendance par la suite, car le cerveau est encore en développement », rappelle-t-il. Les ivresses ponctuelles entraînent comas éthyliques, accidents de la route, violences ou rapports sexuels non consentis. Même occasionnelle, la consommation n’est pas anodine. « On sait désormais que dès le premier verre, il existe un risque de cancer. Huit mille cas de cancer du sein par an seraient liés à l’alcool », insiste l’expert.
En parallèle, les industriels de l’alcool redoublent de créativité pour regagner du terrain. Addictions France a montré que des influenceurs étaient rémunérés pour promouvoir des boissons alcoolisées. « Les industriels s’inquiètent de la baisse de consommation et cherchent à séduire un nouveau public », dénonce le Dr Martini. L’association plaide pour un strict respect des « interdits protecteurs », comme l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs. Des opérations de testing ont d’ailleurs révélé que de nombreux jeunes pouvaient repartir avec de l’alcool malgré une vérification de carte d’identité.
Prévenir, informer, accompagner
La prévention doit aussi se renforcer sur le terrain. Les consultations jeunes consommateurs, parfois organisées directement dans les établissements scolaires, permettent d’identifier et d’accompagner les adolescents en difficulté. Le dialogue parental joue un rôle clé : observer, poser des questions simples, rester attentif aux signaux d’alerte. « Ce dialogue ne doit pas rester un tabou », insiste le Dr Martini. L’éducation aux compétences psychosociales est tout aussi essentielle : apprendre à résister à la pression du groupe, à s’affirmer et à dire non.
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