Journée du droit à l’avortement : où en est-on vraiment ?
Allongement des délais, disparités d’accès, poids du regard social… Le Dr Julia Maruani, gynécologue médicale à Marseille et secrétaire générale adjointe de la FNCGM, éclaire les enjeux autour de l’IVG en France à l’occasion de la Journée du droit à l’avortement.

Depuis 2022, le délai légal pour recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) a été allongé en France, passant de 12 à 14 semaines de grossesse, soit jusqu’à 16 semaines d’aménorrhée (SA). « L’extension du délai entre 14 et 16 semaines d’aménorrhée permet désormais à plusieurs milliers de femmes d’éviter de devoir se rendre à l’étranger », explique le Dr Maruani.
Deux grandes modalités sont proposées : l’IVG médicamenteuse, possible jusqu’à 9 semaines d’aménorrhée, et l’IVG chirurgicale (aspiration), pratiquée jusqu’au terme légal. « Entre 14 et 16 semaines, les deux méthodes sont réalisables et chaque centre d’IVG choisit celle qu’il met en place. Cependant entre 14 et 16 semaines, ce n’est pas une IVG médicamenteuse comme jusqu’à 9 semaines, les femmes sont forcément hospitalisées avec souvent une anesthésie péridurale », précise-t-elle.
Le choix de la méthode dépend à la fois du terme, des antécédents médicaux, du choix de la patiente, mais aussi de l’organisation locale. Avant 14 semaines d’aménorrhée, les femmes peuvent généralement choisir entre l’IVG médicamenteuse ou chirurgicale, selon leurs préférences. En revanche, « pour les grossesses entre 14 et 16 SA, à Marseille, nous avons la chance d’avoir deux centres universitaires, l’un pratique la méthode chirurgicale, l’autre la méthode médicamenteuse. Les femmes peuvent donc choisir. Mais ce n’est pas le cas partout. » Dans certaines structures, le protocole est imposé selon les habitudes de l’équipe médicale.
Un parcours encadré mais encore perfectible
Le parcours de l’IVG prévoit aujourd’hui deux consultations obligatoires. Lors de la première, les professionnel·les de santé évaluent les antécédents médicaux, datent la grossesse et discutent avec la patiente de la méthode la plus adaptée. « Si elle opte pour la méthode médicamenteuse, on programme ensuite la deuxième consultation pour lui remettre les médicaments. Pour la méthode chirurgicale, une date de bloc est programmée à l’issue du premier rendez-vous », détaille la gynécologue.
Le délai de réflexion entre les deux consultations a été supprimé, mais l’obligation des deux rendez-vous subsiste. « C’est un peu incohérent. Si le législateur estime que le délai de réflexion n’est plus nécessaire, pourquoi conserver ces deux consultations ? », s’interroge le Dr Maruani.
Un entretien psychosocial est systématiquement proposé, mais il n’est obligatoire que pour les mineures. Dans les faits, la majorité des femmes ne le demandent pas, et le dépistage des fragilités se fait directement au cours des consultations médicales. « Ces rendez-vous permettent d’aborder des sujets essentiels comme les pressions éventuelles du conjoint, les violences, l’isolement ou encore la méconnaissance des droits », souligne le Dr Maruani.
Les consultations pré-IVG sont également l’occasion d’aborder d’autres aspects de la santé sexuelle. « On peut profiter de ce temps médical pour faire un point sur la contraception, les dépistages, ou simplement renouer un contact avec des femmes qui n’étaient plus suivies depuis longtemps », ajoute-t-elle. En revanche, ces échanges n’ont pas lieu lors de l’entretien psychosocial, qui est centré sur l’écoute et ne porte pas sur les aspects médicaux.
L’IVG, un acte à la fois médical et profondément personnel
Le Dr Maruani insiste sur l’importance de l’écoute dans ces consultations. « Il faut s’assurer que les femmes sont en pleine conscience de leur décision, sans jugement, et avec bienveillance. C’est aussi l’occasion de proposer un dépistage des IST, de reparler contraception, ou simplement de recréer un lien avec le suivi gynécologique. »
Toutes les situations sont différentes. « Certaines patientes arrivent décidées. D’autres ont besoin de quelques jours pour réfléchir. On ne précipite jamais une IVG si la femme hésite. »
Elle rappelle aussi que le vécu émotionnel est très variable. « Je pense qu’il ne faut pas culpabiliser les femmes, mais je n’aime pas qu’on parle de banaliser l’IVG non plus. Même quand la décision est claire, cela reste une étape dans une vie. Ce n’est pas rien. » Certaines femmes, dit-elle, peuvent aussi avoir besoin d’un accompagnement psychologique après l’acte, surtout si les circonstances ont été complexes. « C’est rarement demandé en amont, mais il ne faut pas hésiter à proposer un soutien après. »
Des freins persistants à l’accès et à l’information
Si la loi garantit l’accès à l’IVG, le territoire français reste inégalement couvert. « Dans certaines régions isolées ou à faible densité médicale, l’accès est compliqué, surtout pour la méthode chirurgicale qui nécessite un centre hospitalier. »
La désinformation est un autre obstacle majeur. « Il existe encore des sites Internet anti-IVG, très bien référencés, qui trompent les femmes en se faisant passer pour des plateformes neutres, avant de les culpabiliser. »
Pour contrer cela, elle recommande deux sources fiables :
- Le site officiel du gouvernement sur l’IVG
- Le site Parlons Sexualité du Planning Familial, avec un numéro vert et des contacts validés selon les régions.
« Une femme sur trois aura recours à une IVG au cours de sa vie. C’est un enjeu de santé publique. L’information fiable doit être accessible facilement, notamment en ligne. »
Un droit désormais fondamental, à rendre effectif pour toutes
Depuis son inscription dans la Constitution en mars 2024, le droit à l’avortement est devenu un droit fondamental en France. « C’est une avancée historique. La France est le premier pays au monde à le faire. Il ne faut pas l’oublier, surtout quand on voit ce qui se passe ailleurs dans le monde. »
Pour autant, certaines pratiques mériteraient d’évoluer. « On fait encore signer un formulaire de consentement à l’IVG. Je trouve cet acte déplacé et stigmatisant. Ce n’est pas ce genre de papier qui garantit la décision libre et éclairée d’une femme. Ce qui compte, c’est le temps d’échange avec la patiente, en confiance, sans pression. »
Pour le Dr Maruani, le vrai enjeu est clair : garantir à chaque femme un accès libre, rapide et bienveillant à l’IVG, où qu’elle vive, et quelle que soit sa situation.
Peggy Cardin-Changizi
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