Boulimie
La boulimie est un trouble des conduites alimentaires (TCA) qui débute le plus souvent à l’adolescence ou chez le jeune adulte et se manifeste par des épisodes de consommation excessive appelés crises de boulimie. Derrière ce trouble psychique se cache une grande souffrance, souvent invisible, mais aux conséquences physiques, psychologiques et sociales importantes. La Pre Nathalie Godart, pédopsychiatre spécialiste des TCA[1], nous aide à mieux comprendre la boulimie, à repérer les signes d’alerte et à identifier les clés d’une prise en soins efficace.
Boulimie ou hyperphagie boulimique : deux troubles proches mais distincts
« Il y a d’un côté la boulimie – ou boulimie nerveuse – et de l’autre, l’hyperphagie boulimique, aussi appelée accès hyperphagiques », précise la Pre Godart. Toutes deux sont caractérisées par des épisodes de crises de boulimie, au cours desquelles une personne se sent obligée de manger rapidement une grande quantité d’aliments, sans pouvoir s’arrêter. « On perd complètement le contrôle. Tous les signaux habituels de satiété ne comptent plus. »
La différence réside dans ce que la personne fait ensuite. Dans la boulimie, elle va chercher à éviter de prendre du poids par tous les moyens. « Je préfère éviter de faire un catalogue de ces stratégies, car cela pourrait donner des idées aux personnes vulnérables. Ce que je dis simplement, c’est que les personnes adoptent parfois des comportements dangereux. »
À l’inverse, dans l’hyperphagie boulimique, les crises ne sont suivies d’aucun comportement compensatoire. Cela entraîne généralement une prise de poids rapide, parfois importante.
La boulimie : une souffrance silencieuse
Ces troubles s’accompagnent d’une grande détresse psychique, souvent invisible pour l’entourage. « Les crises sont associées à une honte très forte. Les personnes se cachent, n’osent pas en parler, même à leur médecin. » Certaines gardent le silence pendant des années : « Je pense à une patiente de 50 ans qui m’a appelée sur la ligne Anorexie Boulimie Info Écoute. Elle n’en avait jamais parlé à personne. »
Si les crises restent généralement cachées, certains signes indirects peuvent alerter : disparition rapide de nourriture dans les placards, évitement des repas collectifs, repli sur soi, douleurs digestives, variations de poids. « L’un des signaux les plus clairs reste la souffrance psychologique. Ces personnes se sentent responsables de ce qu’elles vivent, alors qu’elles ne le sont pas. »
Des causes multiples
Il n’existe pas de cause unique à la boulimie. « Ce sont des mécanismes plurifactoriels. On parle de trajectoires de vulnérabilité », explique la Pre Godart. Certains facteurs sont bien identifiés :
- les antécédents personnels ou familiaux de troubles des conduites alimentaires ou de troubles psychiques ;
- l’existence de traumatismes (relationnels, sexuels) ;
- des troubles associés comme l’anxiété ou la dépression ;
- des problèmes de santé comme le diabète, qui imposent des régimes stricts ;
- une exposition à des régimes restrictifs ou à des injonctions sociales sur le corps.
« Les réseaux sociaux ne causent pas les troubles, mais ils peuvent y contribuer. L’exposition à des images de corps très minces ou à des messages autour des régimes alimentaires inadaptés peut renforcer les idées de contrôle. Chez certaines personnes vulnérables, cela peut contribuer à déclencher un trouble. »
La boulimie, des conséquences graves
Les conséquences de la boulimie touchent tous les domaines de la vie : la santé physique, la santé psychique, la vie sociale et professionnelle. « Certaines conduites peuvent entraîner des troubles métaboliques causant des arrêts cardiaques ou des troubles rénaux graves. J’ai vu des patientes avec des fractures de fatigue, des lésions dentaires importantes, ou en état de malnutrition sévère. »
Chez les femmes, cela peut également entraîner un arrêt des règles, des troubles hormonaux, une infertilité ou une ostéoporose. « Plus les crises sont fréquentes et plus elles durent dans le temps, plus les conséquences sont sévères. »
La souffrance psychique est également majeure : anxiété, dépression, isolement social. « Certaines personnes évitent les repas entre amis ou professionnels, s’absentent de l’école ou de leur travail. D’autres se mettent en difficulté financière du fait de l’achat de grandes quantités de nourriture. Parfois, elles en viennent même à voler. »
Qui consulter ? À qui en parler ?
Face à un trouble des conduites alimentaires, la première chose à faire est de chercher de l’aide. Parler à un proche, un médecin, un psychologue, une infirmière scolaire, ou même à une ligne d’aide téléphonique. « Le plus important est de ne pas rester seul. » La ligne gratuite Anorexie Boulimie Info Écoute permet d’échanger de manière anonyme avec des professionnels. Elle oriente vers des centres spécialisés ou des structures adaptées.
« Il faut trouver quelqu’un à qui on peut parler. Si on a une bonne relation avec son généraliste ou son pédiatre, c’est un bon début. » On peut aussi consulter un psychologue ou un psychiatre, ou se tourner vers des associations comme la FFAB et la FNA-TCA (voir ressources).
Une prise en soins globale et coordonnée
La boulimie et l’hyperphagie boulimique nécessitent une prise en charge multidimensionnelle, individualisée. « Aucun professionnel seul ne peut tout faire. Il faut une coordination entre plusieurs volets de soin. »
Le traitement repose sur quatre piliers principaux :
- Le bilan somatique : il comprend un examen clinique complet , des bilans biologiques et un bilan spécialisé si besoin.
- L’accompagnement nutritionnel par un diététicien : reprendre une alimentation structurée et régulière, arrêter les restrictions. « C’est souvent contre-intuitif pour les personnes concernées. Mais tant qu’on ne mange pas régulièrement, on ne peut pas arrêter les crises. »
- L’accompagnement psychologique : « Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) pour les adultes sont celles qui ont fait le plus leurs preuves. Mais d’autres approches peuvent être indiquées selon le contexte et les préférences de la personne. Chez les adolescents, la thérapie familiale est souvent très efficace. L’important, c’est l’engagement dans les soins. »
- Un éventuel traitement médicamenteux, souvent des antidépresseurs, prescrit par un spécialiste.
Le traitement est généralement ambulatoire, mais peut nécessiter une hospitalisation dans certains cas.
Guérir de la boulimie : oui, c’est possible
« Oui, on peut guérir de la boulimie », affirme la Pre Nathalie Godart. « Il faut le dire clairement, même si c’est parfois long. » La durée du traitement varie selon les personnes, mais un accompagnement bien mené permet souvent une stabilisation durable. « Ce sont des troubles qui évoluent par accès. Il peut y avoir des rechutes, mais cela fait partie du processus. L’essentiel est de rester dans les soins. »
Plus les soins commencent tôt, plus ils sont efficaces. « C’est pourquoi la prévention est essentielle. Il faut que les parents, les éducateurs, les coachs sportifs, les professionnels de santé soient formés à repérer les signes. »
Comment aider un proche ?
Si vous pensez qu’un proche souffre de boulimie, la Pre Godart conseille d’éviter d’aborder le sujet en pleine crise ou pendant un repas. « Choisissez un moment calme. Dites que vous êtes inquiet. Proposez d’en parler, ou de consulter ensemble. » « L’important est d’ouvrir la discussion, sans pression. »
Il existe des ressources spécifiques pour les personnes concernées et les familles, comme des livres d’aide.
« La boulimie est un trouble psychiatrique. Elle ne relève ni de la faiblesse, ni du manque de volonté. » Pour que les personnes concernées consultent plus tôt, il faut briser les idées reçues et déstigmatiser. « Plus on en parle, plus on agit. »
À noter ! Ressources utiles
Ligne d’écoute Anorexie Boulimie Info Écoute : 0 805 200 000
(appel anonyme, gratuit, ouvert 7 jours sur 7)
FFAB – Fédération Française Anorexie Boulimie – Association autour des troubles des conduites alimentaires (TCA) : https://www.ffab.fr
la FNA-TCA : https://www.fna-tca.fr
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