Reconstruire la trachée avec un greffon d’aorte : une première réussite française

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Rédigé par Julie P. et publié le 30 mai 2018

Les organes artificiels, à base de biomatériaux innovants ou de tissus biologiques vont progressivement transformer la médecine. C’est pour répondre à l’un de ces défis de la chirurgie moderne qu’une équipe de l’Hôpital Avicenne situé en région parisienne a réussi à greffer sur une dizaine de patients des trachées artificielles. Retour sur ces prouesses médicales présentée le 20 mai dernier lors d’un congrès de l’American Society à San Diego, aux Etats-Unis.

Illustration représentant une trachée humaine

A l’origine de la nouvelle trachée : un greffon de tissu aortique

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De nombreuses approches pour le remplacement de la trachée, comme l’utilisation de matériaux étrangers, de tissus de donneurs, de tissus autogènes (appartenant à la personne greffée), d’ingénierie tissulaire et de transplantation, ont été tentées mais la plupart ont échoué.

À savoir ! La trachée est un conduit élastique composé de fibres et de cartilages qui relie le larynx aux bronches. Lors de la respiration, elle conduit l’air depuis le larynx vers les bronches pendant l’inspiration, et inversement pendant l’expiration.

L’équipe du professeur Emmanuel Martinod travaille déjà depuis presque une vingtaine d’année sur ce projet de mise au point de trachée artificielle.

Ici, il n’est pas question d’organe artificiel entièrement mécanique et réalisé à base de matériaux biocompatibles comme retrouvé dans le cœur artificiel de la société Carmat mais, au contraire, une greffe de tissu provenant d’un donneur compatible.

En effet, l’équipe de chirurgiens et de chercheurs a réussi à modifier, par ingénierie tissulaire, des aortes (gros vaisseaux sanguins) issus de donneurs décédés et cryopréservées, en trachée.

Entre 2009 et 2017, ces tissus obtenus à partir d’aorte ont été greffés à 13 patients atteints de lésions trachéales ou des tumeurs pulmonaires proximales nécessitant une pneumonectomie (excision d’un poumon). Ces patients avaient d’ailleurs pour la plupart une trachéotomie.

Sur les treize patients :

  • 5 ont bénéficié d’une reconstruction de leur trachée ;
  • 7 de leurs bronches souches (les bronches les plus proches de la trachée) ;
  • 1 patient a bénéficié d’une reconstruction de sa carène trachéale (bifurcation entre bronches souches gauche et droite).

À savoir ! La trachéotomie est une ouverture pratiquée de manière chirurgicale dans la partie haute de la trachée afin d’assurer une ouverture des voies aériennes. Les patients respirent donc grâce à un trou sous la gorge.

Pour assurer le maintien mécanique du tissu greffé, les chirurgiens ont positionné un stent (tuteur vasculaire) personnalisé car répondant précisément à l’anatomie de la personne greffée.

Cette endoprothèse a par ailleurs été retiré 18 mois après l’intervention chirurgicale.

« On est allé de surprise en surprise, puisque dans un premier temps on a vu une régénération d’épithélium, qui est la couche la plus superficielle et ensuite, ça a été la plus grosse surprise : l’aorte s’est transformée en trachée se mettant d’elle-même à assurer les fonctions respiratoires » explique le Professeur Emmanuel Martinod.

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Une prouesse chirurgicale

Quatre années après l’opération, 10 sur 13 des patients étaient en vie et 80% respiraient normalement.

L’analyse de leurs tissus a montré une régénération de l’épithélium respiratoire et une génération de cartilage.

Les techniques opératoires décrites par l’équipe d’Emmanuel Martinod et ses collègues se basent sur celles de la chirurgie de la reconstruction de la trachée mais bénéficient également d’une technologie de pointe en imagerie que constitue la bronchoscopie virtuelle tridimensionnelle.

Cette technologie leur a permis de planifier la reconstruction et aider à la création personnalisée des stents (endoprothèses) des voies respiratoires.

Pour certains patients atteints de cancer des voies aériennes supérieures ou d’un cancer du poumon, cette approche peut préserver leur fonction pulmonaire et la qualité de vie en évitant une pneumonectomie.

Selon Valérie Rusch, spécialiste mondiale de la chirurgie thoracique et travaillant actuellement au Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New-York, d’autres études cliniques sont nécessaires pour :

  • Démontrer l’applicabilité plus large de cette stratégie de reconstruction des voies aériennes ;
  • Définir plus précisément son rôle dans la gestion du cancer du poumon ;
  • Comprendre les mécanismes de la régénération tissulaire et la réapparition apparente des cellules souches dans le tissu greffé.

« Cependant, cette étude représente une avancée majeure dans la gestion des maladies affectant les voies respiratoires centrales » conclue Valérie Rusch dans un Edito de la revue JAMA (Journal of the American Medical Association).

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Julie P., Journaliste scientifique

– Une équipe française réalise avec succès des greffes de trachée artificielle. Le Monde. Consulté le 27 mai 2018.
– Has Reconstruction of the Central Airways Been Transformed? From Aorta to Trachea. JAMA. Consulté le 28 mai 2018.
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