Acétamipride : que dit la science sur ses dangers ?
Interdit en agriculture en France depuis 2018 pour protéger les abeilles et autres pollinisateurs, l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde, va être réautorisé pour certaines cultures, dont la betterave et la noisette, avec l’adoption de la loi Duplomb. La polémique enfle avec une pétition contre cette loi cumulant déjà plus de 2 millions de votes en cette fin du mois de juillet. Mais, dans quelles mesures cette molécule est-elle dangereuse pour la santé humaine ?

Positionnement de l’Efsa
Dans le cadre du renouvellement européen de la molécule et avec de nouveaux éclairages scientifiques, l’Efsa (autorité européenne de sécurité des aliments) a conduit, en 2024, une évaluation approfondie des propriétés toxicologiques de l’acétamipride.
Elle a confirmé n’avoir trouvé aucune preuve de génotoxicité ni de cancérogénicité.
Même si des travaux sur des rats soumis à la substance pendant plusieurs semaines ont mis en évidence la possibilité d’un lien avec le développement de cancers, l’autorité sanitaire précise n’avoir pas observé de cancérogénicité « en conditions réalistes » d’utilisation.
Parmi la vingtaine études indépendantes passées au crible par l’Efsa, une étude suisse de 2022 mettait en évidence qu’un métabolite de dégradation de l’acétamipride a été détecté dans le liquide céphalorachidien de 13 enfants sur 14 alors âgés de 3 à 18 ans souffrant d’une leucémie ou de lymphomes. Appréciation de l’Efsa : étude non recevable compte tenu des biais méthodologiques et information manquante par la non-identification de la source de ce métabolite (l’acétamipride reste largement utilisé dans la sphère domestique pour lutter contre les blattes, fourmis et puces).
Une incertitude est cependant avancée par l’Efsa : le rôle de l’acétamipride dans la neurotoxicité développementale.
L’Efsa précise en 2024 « Les résultats du poids de la preuve ont indiqué qu’il existe des incertitudes majeures dans le corpus de preuves des propriétés de neurotoxicité pour le développement de l’acétamipride et que des données supplémentaires sont donc nécessaires pour parvenir à une compréhension mécaniste plus solide afin de permettre une évaluation appropriée des dangers et des risques. »
Par suite de ces travaux et dans l’attente de résultats probants, la dose journalière admissible (DJA) d’acétamipride a été modifiée par l’Efsa en passant de 0,025 mg par kilo de poids corporel par jour à 0,005 mg/kg de pc/ jour.
Que dit la Ligue contre le cancer ?
En revanche, pour la Ligue contre le cancer, la réintroduction de l’acétamipride est un non-sens.
La ligue rappelle sur son site, dans un communiqué du 9 juillet, que des « études récentes » ont conclu que l’acétamipride est « potentiellement cancérigène », estimant que l’adoption de la loi Duplomb est « un camouflet pour le principe de précaution ».
Elle rappelle par ailleurs que l’INSERM a établi en 2013 puis reconfirmé en 2021, un lien entre exposition aux pesticides et certains cancers avec une présomption forte pour les lymphomes non hodgkiniens (cancers du système lymphatique), le myélome multiple (cancers du sang), les cancers de la prostate ainsi que les cancers de l’enfant par suite d’une exposition pendant la grossesse. Une présomption moyenne est avancée pour l’INSERM pour les leucémies.
« Nous sommes dans un paradoxe : alors que notre pays n’a jamais autant parlé de prévention des cancers, qu’une proposition de loi instaurant un registre national vient justement d’être adoptée, ce texte va à l’encontre des principes mêmes de santé publique. Il affaiblit les protections existantes, fragilise les environnements favorables à la santé et envoie un signal incompréhensible au regard des enjeux sanitaires et environnementaux de notre époque », souligne Francelyne Marano, vice-présidente de la Ligue contre le cancer et professeure émérite en toxicologie à l’Université Paris Cité.
Appliquer le principe de précaution
La mobilisation citoyenne et de nombreux scientifiques, dont le Conseil national de l’Ordre des médecins, s’opposent à la loi Duplomb, décriée pour son impact environnemental et ses risques pour la santé humaine.
Devant un manque d’études d’ampleur concernant l’acétamipride, scientifiques et spécialistes de l’environnement estiment que le principe de précaution devrait s’imposer.
En effet, les études disponibles actuellement concernent essentiellement des modèles cellulaires in vitro (cellules mises en culture) ou des modèles murins (expérience utilisant souris, cobayes, rats et rongeurs en général).
Si ces études appuient l’idée que les néonicotinoïdes présentent des risques probables, elles ne permettent pas de détailler dans quelles mesures l’acétamipride joue un rôle sur la physiologie humaine avec des niveaux d’exposition telles que rencontrées dans la vie réelle. Des études épidémiologiques, évaluant la fréquence de survenue de pathologies spécifiques dans un groupe de personnes particulièrement exposées (agriculteurs, riverains d’exploitations, travailleurs et consommateurs en contact avec l’acétamipride) permettraient de mieux évaluer les risques potentiels.
« Les néonicotinoïdes sont des pesticides qui ont été peu étudiés pour leurs effets pour les humains », a expliqué à l’AFP Sylvie Bortoli, toxicologue à l’Inserm. Avant d’ajouter : « La bibliographie reste assez lacunaire par rapport à d’autres pesticides emblématiques comme le DDT ou le glyphosate ».
Autre paramètre à prendre en compte : l’accumulation progressive du pesticide, soluble dans l’eau, dans l’environnement. En 2016, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) précisait notamment qu’il existait des incertitudes concernant « les niveaux de résidus pouvant persister dans les sols et donc exposer les abeilles lors des floraisons suivantes ».
Comme le souligne Philippe Grandcolas, écologue, directeur adjoint scientifique national pour l’Écologie et l’Environnement au CNRS, au micro de France Inter : « c’est un produit qui a un potentiel d’exposition très important pour l’ensemble de la biodiversité, humain y compris ».
Les rangs des opposants à la Loi Duplomb gonflent de jour en jour, cette mobilisation citoyenne est exceptionnelle. Cependant, même si un nouveau débat doit avoir lieu à la rentrée au Parlement, il est très peu probable quela loi soit abrogée.
Pour abroger ce texte, toutefois, une seule solution existe, « c’est le fait de voter une autre loi », explique Benjamin Morel, maître de conférence en droit public sur Radiofrance. Avant d’ajouter : « Par ailleurs, s’il y a eu une majorité pour voter la loi Duplomb, on peut penser qu’actuellement, il n’y a pas de majorité non plus pour l’abroger » poursuit-il.
– Tout savoir sur l’acétamipride, ce pesticide au cœur de l’opposition à la loi Duplomb. Reporterre. . reporterre.net. Consulté le 25 juillet 2025.
– Statement on the toxicological properties and maximum residue levels of acetamiprid and its metabolites. EFSA. . www.efsa.europa.eu. Consulté le 25 juillet 2025.
– Néonicotinoïdes et pollinisateurs : l’Anses préconise le renforcement des conditions d’utilisation des produits. ANSES. . www.anses.fr. Consulté le 25 juillet 2025.
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