Laurence, un cancer ORL dû au virus HPV diagnostiqué tardivement

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Rédigé par Stéphanie LG. et publié le 22 juillet 2021

Le papillomavirus humain, ou HPV, est une infection sexuellement transmissible extrêmement répandue. Parmi les hommes et les femmes sexuellement actifs, 70% y seront exposés au moins 1 fois dans leur vie. Le HPV est connu pour être à l’origine de cancers du col de l’utérus. Mais il peut aussi être à l’origine de cancers de l’oropharynx. Plus précisément, le HPV est à l’origine d’1 cancer de la tête et du cou sur 3 !

Femme qui témoigne pour un cancer ORL HPV induit

Cette information est méconnue du grand public et de certains médecins, entrainant des retards de diagnostic et des retards de prise en charge. C’est ce qui est arrivé à Laurence, 54 ans. Maman de 3 enfants de 17, 18 et 24 ans, elle est psychologue dans le département Seine et Marnais dans la protection de l’enfance. A l’occasion de la journée de sensibilisation mondiale autour des maladies HPV induites, qui aura lieu le 4 mars, elle a accepté de témoigner pour Santé sur le Net.

Quel a été le contexte de découverte de la maladie dans votre cas ?

En janvier 2020, je découvre mon 1er et seul symptôme : un ganglion dans le cou. Aucune douleur. Comme je suis en plein soins dentaires, j’en parle à mon dentiste, mon endodontiste et même au stomatologue qui m’a extrait une dent. Tous s’accordent pour dire que ce ganglion doit être lié à un abcès dentaire. Malheureusement, la réalité sera toute autre et bien plus préoccupante. Très occupée dans ma vie personnelle et professionnelle et étant donné que ce ganglion semble diminuer ou disparaître, je n’y prête plus attention.

En juin 2020, je ressens de nouveau le ganglion et celui-ci persiste étrangement malgré les soins dentaires engagés. Et pour cause, il n’a rien à voir avec mes dents ! Mon médecin traitant ne s’affole pas et me laisse partir 4 semaines en vacances avec antibiotiques pour 10 jours. Ils n’auront aucun effet. Je devais avoir un pressentiment plus ou moins conscient que cela pouvait être grave car je lui demande : « Vous êtes sûre ? Je ne consulte pas en vacances si la grosseur persiste ? Est-ce qu’il ne vaut pas mieux que je fasse la biopsie avant de partir en vacances ? ». Elle me dit que non, on verra à mon retour de vacances.

Fin août 2020, dès mon retour de congés, je m’empresse de revoir mon médecin traitant et là, tout s’enchaîne. Nombreux examens sanguins, dont certains en service d’hématologie. Après la première fausse piste dentaire, on part sur une hypothèse de cancer du sang ce qui ne sera pas confirmé. Echographie, scanner, tepscan. Et je me retrouve en ORL : la cytoponction à l’aiguille ne donne rien de concluant, ni la biopsie au bloc sous anesthésie locale. Ils ne trouvent pas.

Les chirurgiens ORL décident d’opérer. Le 30/09/20, je subis une panendoscopie des voies aérodigestives supérieures. Pendant que je suis au bloc et toujours endormie, le ganglion enlevé se révèle malin. Ils poursuivent avec une amygdalectomie totale bilatérale et différentes biopsies : végétations, langue et curage ganglionnaire radical modifié droit .

En conclusion, j’ai une adénopathie cervicale droite qui se révèle être une localisation ganglionnaire métastatique d’un carcinome épidermoïde peu différencié de l’oro-pharynx. 42 ganglions non métastatiques me sont enlevés.

Je n’ai jamais fumé de ma vie. Alcool que festif le week-end. Je demande donc pourquoi j’ai ce cancer : même réponse des ORL et de l’oncologue. C’est un cancer HPV 16.

Comment s’est déroulé l’annonce du diagnostic ?

Le 30 septembre 2020, en salle de réveil, tout de suite après l’opération chirurgicale, le chirurgien vient me voir et me demande si je veux savoir maintenant ou plus tard quand je serai dans ma chambre d’hôpital. Je lui dis tout de suite. Je me souviens qu’elle a posé avec compassion sa main sur mon bras perfusé et a dit que malheureusement c’était malin … Elle n’a pas prononcé le mot cancer. Je lui ai dit « C’est un cancer ? ». Réponse : « Oui Madame H. » Puis, elle m’a demandé si je voulais qu’on prévienne quelqu’un. Elle a appelé mon mari qui l’a appris au téléphone et qui l’a dit à notre grande. D’un commun accord, nous avons décidé que ce serait moi qui l’annoncerais à nos fils de vive voix, cinq jours après, lors de ma sortie de l’hôpital.

Quelle a été la réaction de votre entourage à l’annonce du diagnostic ?

Je n’oublierai JAMAIS ce moment et mes fils non plus … Il y avait aussi l’ami de notre grande dont nous sommes très proches. Tous les 6 autour de la table, j’ai annoncé la nouvelle à mes fils en leur disant que c’était important pour moi de leur dire de vive voix. J’ai tout de suite prononcé le mot cancer mais parlé de traitements pour les mettre dans une dynamique de guérison. Gros silence. Il n’était pas question pour moi de pleurer devant eux, ni de les inquiéter davantage.

Les réactions ont été très différentes. Mon conjoint a avant tout ressenti de la sidération. Apprendre cela au téléphone, certainement la douche froide. Il a ensuite été présent à tous les rendez-vous médicaux importants. Il s’est occupé de la prise en charge de mon alimentation, maison et mixée. C’est quelqu’un de très fort mentalement. Concernant mes enfants, ma fille aînée a été d’un soutien physique et psychologique inestimable. Mon deuxième a posé quelques questions à l’annonce dont les réponses ont semblé lui convenir. Mon plus jeune est rentré dans un mutisme total. Je revois encore leurs regards graves sur moi, malgré leur jeunesse. Ils sont toujours au courant de mes rendez-vous et de mes traitements, de tout ce qui peut expliquer ma fatigue et mes différentes séquelles. Le cancer n’est absolument pas tabou chez nous.

Ma petite maman qui est en province avec une santé très fragile, je le lui ai appris au téléphone. Elle a été très affectée. Elle a été très soutenante chaque jour au téléphone ou par sms (pas toujours facile de parler avec un cancer ORL …). Mon père qui a coupé les ponts avec moi (sujet très douloureux) en a remis une couche … Il l’a appris par une cousine et lui a dit « Bonne continuation à elle » ! Aucun contact avec moi. Une autre claque dans la figure. Affaire classée.

Je suis toujours en lien avec mes collègues de travail, même si je suis en arrêt de travail.  Je reçois de gentils messages, y compris ma chef de service. J’adorais mon travail.

Mes « Amis » ont eu toutes sortes de réactions. Certains sont extrêmement aidants avec parfois de véritables marques d’affection, de tendresse et d’amour. Certains ne me lâchent pas et m’aident sincèrement. D’autres sont absents et ne demandent pas de mes nouvelles directement. Ils le font peut-être via nos amis, peu à l’aise probablement avec le sujet du cancer … Enfin, quelques personnes (très rares) sont totalement absentes. Je serai amenée à en recroiser certaines dans ma vie, pas de souci, mais je ne pardonnerai pas.

J’ai également reçu beaucoup de soutien du groupe Facebook « Corasso échangeons ». C’est un groupe de soutien que j’ai connu grâce à une amie S.D. Ce groupe était particulièrement bénéfique car même 5 mois après, j’avais encore du mal à parler longtemps.

Comment arrivez vous à accepter la maladie ?

J’ai toujours du mal à accepter que j’ai CE cancer à cause d’une personne qui m’as transmis (certes sans le savoir) ce virus oncogène. D’autant plus que le HPV 16 concerne plutôt des personnes ayant eu une sexualité précoce et avec de nombreux partenaires, ce qui n’est pas mon cas. C’est compliqué psychiquement car ce virus se déclare de très nombreuses années après. Le virus dormait en moi … J’ai donc une petite idée de qui a pu me le transmettre mais sans aucune vérification possible. Finalement ? il vaut mieux … Je ne peux qu’accepter l’inacceptable et me battre.

Quels ont été les différentes étapes du traitement ?

  1. Chirurgie le 30/09/20. La douleur a été bien gérée grâce à la morphine. Au début, j’étais obligée de sucer des glaçons pour m’hydrater. Seules les glaces ou quelques laitages très froids passaient. Puis j’ai pu boire des boissons protéinées de la pharmacie pour ne pas perdre trop de poids. Pendant toute une période, je ne pouvais avoir qu’une alimentation à la paille puis mixée.
  2. Une chambre implantable a été posée sous ma clavicule gauche. Je la garderai au moins deux ans.
  3. J’ai eu 7 séances de chimiothérapie, en même temps que 35 séances de radiothérapie. Les équipes sont exceptionnelles. Les anti-nauséeux sont très efficaces. En revanche, j’ai ressenti un goût métallique dans la bouche pendant de très nombreuses semaines et je l’ai vécu difficilement. J’étais très fatiguée. C’était très éprouvant pour moi. On m’a mis un masque de contention pour limiter mes mouvements pendant les séances.  C’était dur mais l’équipe de radiothérapie m’aidait en me parlant. J’ai vite compris que ce masque était mon allié, comme la chimio.  J’ai perdu mes cheveux mais surtout en dessous, derrière, au niveau de la nuque suite à l’irradiation. Je n’ai pas eu d’alopécie totale.

Quelles sont vos séquelles aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je garde des séquelles. J’ai un lymphœdème du cou qui est difficile à accepter. J’ai ma cicatrice de Guerrière bien sûr ! La couleur de ma peau a changé sur la zone irradiée. J’ai encore des difficultés à m’alimenter. J’ai une perte de salive totale et une sécheresse buccale. J’ai toujours une bouteille d’eau avec moi.

A ce jour, j’ai perdu 7 kilos. Mon oncologue voudrait que je n’en perde pas plus de deux encore. S’ajoute à tout cela, une difficulté à parler longtemps (moi qui étais pipelette).

Et maintenant, êtes-vous considérée en rémission ? Quels sont les prochaines étapes ?

La notion de rémission est bien loin … Oui, j’ai un traitement au long cours. Je suis suivie par un ORL tous les deux mois, et j’ai de nombreux rendez-vous chez le dentiste et le stomatologue. J’ai une supplémentation fluorée à faire 5 min par jour. Mon prochain scanner est fin avril pour vérifier qu’il n’y a toujours pas de métastases à distance …

Les ORL ont été très clairs : si récidive, retour au bloc. Il y a environ 20% de risque de récidives, surtout dans les mois qui suivent l’opération ou les deux premières années. C’est comme une grosse épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Qu’est ce qui a changé concrètement dans votre vie depuis l’annonce du diagnostic ?

Plein de choses … Ma façon de voir la vie, je me centre de plus en plus sur l’essentiel. Je vis au jour le jour. Je me force à marcher un peu chaque jour malgré la fatigue. J’ai changé de caractère : moi qui ai la réputation d’être toujours gentille et douce, je deviens très dure.  Je pourrai être dure dans mes propos envers certaines personnes qui m’ont abandonnée. Mon quotidien a changé également puisque je suis en congé longue maladie. J’espère avoir la force physique et le feu vert de l’oncologue fin avril pour une reprise en mai 2021. Tout dépendra des résultats du scanner.

Concernant mon alimentation, je mange toujours en mixé ou alors des petits morceaux mous. Et beaucoup d’aliments interdits : tous ceux qui sont acides. Moi qui étais gourmande, aujourd’hui je mange car il le faut mais presque plus aucun plaisir alimentaire.

L’alcool est interdit car ça serait douloureux physiquement au passage. Cela peut aussi augmenter le risque de  récidives. Les ORL qui me suivent et mon oncologue (des personnes d’une grande humanité) sont catégoriques.

Vous avez travaillé dans le domaine de l’oncologie. Aviez-vous déjà entendu parler de cancer ORL HPV induit ?

Même en ayant travaillé quelques temps en tant que psychologue en oncologie, je n’ai jamais entendu parler des cancers ORL HPV induits. Les cancers de l’utérus dus au HPV oui, mais pas les cancers ORL … Lorsque j’étais en chimiothérapie ? il y a quelques mois, l’infirmière elle-même m’a dit qu’au début de sa vie professionnelle, elle ne connaissait pas ce cancer …

A l’occasion de la journée de sensibilisation mondiale autour des maladies HPV induites, quel message souhaitez-vous faire passer aux lecteurs de Santé sur le Net ?

Ne pas hésiter à consulter et insister si nécessaire au moindre doute sur votre santé. Par exemple, un ganglion dans le cou peut être bénin mais également le signe d’un cancer silencieux sans aucun autre signe annonciateur. Faîtes vacciner vos enfants (et pas seulement les filles !).

Propos recueillis par Stéphanie LG, docteur en pharmacie, le 1er mars 2021

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– Le papillomavirus, interview du Pr Gondry. Youtube.fr
  • Bonjour. Je désirerais savoir comment s’est passé la suite de votre parcours et quelles séquelles vous avez éventuellement encore? Je suis dans le meme cas que vous, je passe la semaine prochaine un pet scan avant la proposition d’un traitement qui semblerait similaire au votre? Je vous remercie. Bien cordialement

    • L'équipe Santé sur le Net says:

      Bonjour Fanny,
      Nous vous remercions de votre intérêt pour cet article. Nous avions réalisé ce témoignage il y a quelques temps et nous ne sommes plus en contact avec Laurence.

      Nous vous invitons à vous rapprocher d’associations de patients qui pourront vous mettre en relation avec d’autres patients.

      Nous vous souhaitons une très bonne journée !

      L’équipe Santé sur le Net

  • Julien says:

    Bonjour, témoignage très intéressant. Serait-il possible d’avoir des nouvelles de Laurence ?

    • L'équipe Santé sur le Net says:

      Bonjour Julien,

      Nous vous remercions de votre intérêt pour cet article. Nous avions réalisé ce témoignage il y a quelques temps et nous ne sommes plus en contact avec Laurence.

      Nous vous souhaitons une bonne journée !

      L’équipe Santé sur le Net

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