Trouble borderline : comprendre pour mieux vivre
Instabilité émotionnelle, comportements à risque, peur de l’abandon… Le trouble de la personnalité borderline touche entre 3,5 et 4 % de la population. Trop souvent méconnu, il entraîne une grande souffrance psychique chez les personnes concernées. Pourtant, des solutions existent. Pierre Nantas, psychothérapeute à Paris et président de l’AFORPEL, nous aide à mieux comprendre ce trouble pour améliorer le quotidien des patients comme de leurs proches.
Contrairement à certains troubles génétiques, le trouble borderline est essentiellement acquis. Il s’installe dans un environnement émotionnel instable. D’après Pierre Nantas, « c’est le contexte dans lequel l’enfant grandit qui va provoquer ou non l’apparition du trouble, renforcer ou non les caractéristiques borderline ». Il évoque l’impact de traumatismes vécus pendant la grossesse : un stress important libère du cortisol, traverse le placenta et modifie le développement du système nerveux du fœtus. Il insiste également sur les effets d’une dépression post‑partum non traitée : « le bébé est une éponge émotionnelle ; il capte l’angoisse de sa mère, ce qui crée un terrain propice à l’anxiété et à l’instabilité émotionnelle ».
Un trouble de l’attachement peut résulter de l’absence prolongée de la mère ou de changements fréquents de figure parentale : l’enfant ne construit alors pas une base de sécurité affective. Pour Pierre Nantas, ces premiers manques sont décisifs : « Sans cela, l’enfant développe très tôt un sentiment d’abandon ». Enfin, il soulève un fait qu’il juge essentiel et tabou : « 85 % des personnes borderline ont été victimes d’abus sexuels ou d’attouchements entre 0 et 6 ans ». Ces traumatismes précoces refont souvent surface à la puberté, moment charnière de la construction identitaire.
Trouble borderline : une intensité émotionnelle déstabilisante
Le trouble borderline se caractérise avant tout par une instabilité émotionnelle intense. Pierre Nantas décrit comment « en quelques secondes, une personne borderline peut passer d’un état stable à une rage incontrôlable ». Les comportements à risque sont fréquents, qu’il s’agisse de tentatives de suicide, de scarifications, de conduites dangereuses ou de sexualité impulsive. Les crises incluent également des épisodes de dépersonnalisation ou de dissociation : « pour se reconnecter à leur corps, certains cherchent des sensations extrêmes, une montée d’adrénaline ».
Leur vision du monde est souvent en noir et blanc, sans nuances : « C’est « je t’aime » ou « je te déteste », et je peux te détester juste après t’avoir adoré ». La peur panique de l’abandon les pousse à soumettre en permanence leur entourage à des mises à l’épreuve. Cette crainte extrême et permanente de la séparation les conduit à rechercher assurance et validation, mais aussi à provoquer des conflits. Parallèlement, leur image d’eux-mêmes est extrêmement fragile : « ils se trouvent moches, pas intelligents, inutiles ».
Pierre Nantas insiste aussi sur l’effet de répétition de ces schémas. « On retrouve souvent des personnes borderline qui, adultes, reproduisent malgré elles des relations blessantes, car ces modèles leur sont familiers. » Sans accompagnement thérapeutique, ces cycles se répètent indéfiniment, accentuant le mal-être.
Des signaux précoces mais peu détectés
Dès la maternelle, certains signes apparaissent sous la forme d’angoisses de séparation ou d’incapacités à gérer des conflits. Pourtant, peu de professionnels de la petite enfance posent le lien avec un trouble borderline. Les diagnostics sont le plus souvent retardés. En l’absence de reconnaissance, ces enfants sont parfois diagnostiqués à tort bipolaires ou hyperactifs, et se voient prescrire des traitements inadaptés.
Méconnaissance et recours excessif aux médicaments
Pierre Nantas déplore que « on prescrit de la ritaline, des anxiolytiques ou des antidépresseurs, qui sont inefficaces voire contre‑productifs ». Selon lui, « aucun médicament n’est réellement efficace » pour traiter ce trouble. Les thérapies comportementales sont subordonnées à une prise en charge uniquement médicamenteuse, un choix souvent regrettable au regard de leur inefficacité.
Il ajoute que certains traitements peuvent même aggraver les choses. « Certains antidépresseurs font prendre du poids, ce qui renforce la mauvaise image corporelle chez des patients déjà fragiles. »
Des thérapies efficaces et une alliance thérapeutique essentielle
Bonne nouvelle : il est possible de stabiliser, voire de guérir du trouble borderline. Deux approches bénéficient d’un solide consensus scientifique. D’abord la thérapie comportementale dialectique (DBT), créée par Marsha Linehan : elle s’étend sur 18 mois à deux ans et démontre une bonne efficacité, notamment chez les personnes avec phobie sociale ou passages à l’acte fréquents. Ensuite, la thérapie des schémas de Jeffrey Young fait ses preuves en travaillant sur les croyances fondamentales et relationnelles.
Pierre Nantas souligne que « l’alliance thérapeutique est essentielle. Il faut que le patient borderline se sente reconnu, compris, respecté. Sinon, rien ne fonctionne ». À l’inverse, la psychanalyse est fortement déconseillée : « ressasser le passé ne fait qu’empêcher la personne de se projeter dans l’avenir ».
Il rappelle aussi l’intérêt de travailler en réseau : « Le traitement fonctionne encore mieux lorsqu’il associe différents intervenants, notamment en cas de trauma ancien. Une thérapie individuelle peut être complétée par l’EMDR, très utile pour traiter les souvenirs traumatiques. »
Le défi des relations au quotidien
Dans la vie quotidienne, la moindre frustration peut être vécue comme un rejet brutal : « Si je dis non, même gentiment, la personne borderline entend « Tu ne m’aimes pas », « Tu me rejettes ». Et cela peut déclencher une crise, une scarification, ou une tentative de suicide ». Les relations amoureuses en particulier sont marquées par l’extrême intensité émotionnelle : idéalisation puis rejet, réconciliation et repli, un cycle éprouvant pour les deux partenaires.
En milieu professionnel, les conflits avec l’autorité sont fréquents ; l’intolérance à la frustration entraîne souvent des situations tendues. Certains patients préfèrent des formes de travail isolées — télétravail, intérim ou missions de courte durée — pour limiter les risques relationnels. Loin d’être un choix anodin, ce fonctionnement traduit souvent le besoin de maîtriser l’environnement émotionnel.
Invisibilité sociale et urgent besoin de reconnaissance
La France accuse un retard majeur sur la prise en charge du trouble borderline. « En Belgique, en Allemagne, au Canada, on connaît le trouble borderline. En France, c’est comme le nuage de Tchernobyl : il n’existe pas », tacle Pierre Nantas. Ce constat révèle un manque de formation chez les médecins, notamment les généralistes et les pédiatres. Une demi‑journée de formation en psychiatrie ne suffit pas selon lui.
Il plaide pour une journée nationale dédiée au trouble borderline, afin de sensibiliser le grand public, favoriser le repérage précoce et rompre avec l’omerta.
Soutien essentiel pour les proches
L’entourage des personnes borderline subit un impact émotionnel important. Selon Pierre Nantas, les proches doivent pouvoir accéder à une information et un soutien adaptés. Il évoque les visioconférences proposées par l’AFORPEL : « connaître le trouble permet de réagir sans s’épuiser ».
Il conclut par une note d’espoir : « Les personnes borderline ne sont pas des cas désespérés. Avec une bonne thérapie, une vraie alliance, et une prise en charge dès l’enfance si possible, elles peuvent mener une vie parfaitement normale ».
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