L’horloge biologique et la santé : à l’heure de la chronopharmacologie !

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Rédigé par Deborah L. et publié le 2 février 2021

D’une redoutable précision, l’horloge biologique rythme inexorablement le bon fonctionnement de l’organisme. Si la communauté scientifique a déjà établi des liens entre les dysfonctionnements des rythmes biologiques et certaines maladies métaboliques, peu de données relatives aux mécanismes moléculaires impliqués sont aujourd’hui disponibles. Des chercheurs de l’Inserm ont donc cherché à en savoir plus, afin de mieux comprendre le dispositif de régulation de l’horloge biologique. Un pas de plus dans le développement de la chronopharmacologie !

Lien entre horloge biologique et état de santé

Chaque individu est doté d’une horloge biologique personnelle logée au cœur de son cerveau et qui impose un cycle de 24 heures à l’organisme, appelé rythme circadien. Cette horloge biologique, ou horloge interne, se synchronise principalement au moyen de la lumière et joue un rôle crucial dans le bon fonctionnement de l’organisme. C’est elle par exemple qui ajuste la température corporelle en fonction des moments de la journée ou qui permet une meilleure consolidation de la mémoire pendant la nuit. D’après Hélène Duez, de l’institut Pasteur de Lille, l’horloge biologique « permet à notre organisme d’anticiper les changements quotidiens prévisibles comme par exemple l’alternance jour/nuit afin d’optimiser les fonctions métaboliques ou immunitaires en les autorisant aux moments les plus propices. »

À savoir ! Le rythme circadien désigne un cycle de 24 heures pendant lequel un certain nombre de mécanismes biologiques et physiologiques se répètent au sein de l’organisme. C’est l’horloge biologique qui impose le rythme circadien à l’organisme.

Cependant, il arrive que la cadence implacable du rythme circadien soit parfois mise à mal. Or, une simple dérégulation peut provoquer l’apparition de maladies cardiovasculaires, de maladies métaboliques, de troubles immunologiques voire de certains cancers. Pour Hélène Duez, « Le fonctionnement de nos sociétés modernes (horaires décalés, prises alimentaires et exposition à la lumière la nuit, temps de sommeil réduit) ne correspond plus à nos rythmes circadiens intrinsèques, ce qui accroît le risque de développer ces maladies ».

Si la communauté scientifique a déjà établi des liens entre les dysfonctionnements des rythmes biologiques et certaines pathologies, peu de données relatives aux mécanismes moléculaires impliqués sont aujourd’hui disponibles. Dans ce contexte, plusieurs études menées par des équipes de l’Inserm ont cherché à en savoir plus, afin de mieux comprendre le dispositif de régulation de l’horloge biologique.

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Dérégulation de l’horloge biologique et apparition de certaines maladies

C’est ainsi que l’équipe d’Hélène Duez a pu démontrer que l’heure d’apparition de certaines maladies inflammatoires avait une influence sur leur manifestation et leur gravité. L’hépatite fulminante en constitue un exemple puisque chez la souris, ce phénomène inflammatoire suit un rythme circadien. « Il est plus intense à certains moments de la journée qu’à d’autres », décrit la scientifique.

À savoir ! L’hépatite fulminante est provoquée par un surdosage en paracétamol qui provoque une inflammation excessive et peut mener à une dégradation rapide des tissus du foie.

C’est sans compter l’intervention, sous contrôle de l’horloge biologique,  d’une protéine nommée Rev-erbα qui joue le rôle de facteur de transcription au niveau moléculaire. Cette protéine a en effet la capacité de se lier à certains gènes et de les mettre en silence à des moments précis de la journée : « Quand la protéine Rev-erbα est produite, elle atténue la réponse inflammatoire et prévient l’apparition de l’hépatite fulminante ».

À savoir ! Les facteurs de transcription sont des molécules chargées de réguler la première étape de lecture de l’ADN permettant de transformer l’ADN en ARN avant sa traduction en protéines.

Forts de ce constat, la chercheuse et son équipe souhaitent déterminer comment réguler une telle protéine. L’objectif affiché ? Réparer un éventuel déphasage de l’horloge biologique afin d’améliorer les états pathologiques créés par ce dysfonctionnement. A terme, les scientifiques ambitionnent de découvrir une molécule capable d’amplifier l’action de la protéine Rev-erbα afin de traiter les patients victimes d’hépatite fulminante, ainsi que les patients souffrant d’autres maladies liées à un emballement de la réponse inflammatoire (diabète, athérosclérose, péritonite).

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Vers le développement de la chronopharmacologie

Une autre équipe de scientifiques a quant à elle focalisé ses recherches sur le foie. Pour Franck Delaunay, de l’Institut de biologie Valrose à Nice, le foie représente en effet un  organe clé de l’horloge biologique : « Cet organe est un carrefour de la rythmicité de notre organisme : ses propres cellules, les hépatocytes, fonctionnent comme des horloges elles-mêmes contrôlées par l’horloge centrale de notre organisme ». Double raison de s’y intéresser !

Dans le cadre de leurs recherches, le scientifique et son équipe ont travaillé sur un autre facteur de transcription appelé KLF10. Ils ont pu observer qu’en cas de carence en KLF10, les   souris mâles présentaient une hyperglycémie (excès de glucides dans le sang) et qu’en l’absence du KLF10, les souris femelles présentaient une hypertriglycéridémie (excès dans le sang des triglycérides). Pour Franck Delaunay, KLF10 semble jouer un rôle « de timer au niveau du foie », permettant d’assurer un métabolisme normal des glucides et des lipides. L’absence de KLF10 serait ainsi à l’origine de dysfonctionnements pouvant provoquer l’apparition de maladies métaboliques. « Lorsque le foie est agressé, comme dans la stéatose hépatique, certaines cellules meurent. Si la protéine KLF10 est absente, c’est encore plus marqué. »

À savoir ! La stéatose hépatique désigne une maladie caractérisée par une accumulation de graisses dans les cellules du foie.

Forts de ces premières données, les chercheurs avancent diverses hypothèses pour prévenir  le développement d’anomalies métaboliques parmi lesquelles une alimentation restreinte dans le temps. Pour autant, Franck Delaunay précise que si l’heure n’est pas encore au développement de nouveaux traitements, « on peut déjà appliquer ces connaissances au diagnostic, par exemple en dosant les enzymes hépatiques, marqueurs de certains désordres métaboliques, le matin et non l’après-midi, quand elles sont moins synthétisées. »

C’est enfin la vision qui retient l’attention des scientifiques de l’Institut Cellules souches et Cerveau de Lyon. Les yeux sont en effet  essentiels pour comprendre les rythmes circadiens dans la mesure où ils captent l’information lumineuse en provenance du soleil, ce qui permet de caler l’horloge biologique sur un cycle de 24 heures. Pour la chercheuse Ouria Dkhissi-Benyahya : « La rétine participe au fonctionnement de l’horloge centrale de notre corps mais elle possède aussi sa propre horloge interne ». Ayant constaté que beaucoup de maladies de l’œil (glaucomes, dégénérescence maculaire liée à l’âge) affectaient les photorécepteurs, les scientifiques souhaitent en comprendre mieux le fonctionnement et espèrent identifier quelles dérégulations des deux horloges pourraient être à l’origine de ces pathologies : « Pour la DMLA, peu d’ophtalmologistes posent la question de savoir si le malade a un bon sommeil, et donc si ses rythmes circadiens sont bien calés – alors qu’un lien a déjà été démontré », explique Ouria Dkhissi-Benyahya. Les traitements futurs s’appuieront sur le rétablissement du fonctionnement altéré des horloges centrale et rétinienne à travers les photorécepteurs et les voies de transmission de l’information lumineuse.

L’ensemble de ces travaux prenant en compte le rythme circadien et l’horloge biologique ouvrent la voie au développement de traitements répondant au concept de la chronopharmacologie. Tout l’enjeu consistera à définir le moment d’administration optimal dans le but d’obtenir la meilleure réponse thérapeutique (efficacité maximale et toxicité minimale) et d’améliorer la prise en charge  des patients.

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Déborah L., Docteur en Pharmacie

Source
– Horloge biologique : Quand nos rythmes influent sur notre santé. inserm.fr. Consulté le 28 janvier 2021.
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