Insuffisance cardiaque : un moteur méconnu du cancer
L’insuffisance cardiaque évoque généralement un cœur affaibli, un essoufflement ou des jambes gonflées. Pourtant, une vaste enquête française vient de montrer que ce trouble n’affecte pas seulement le système cardiovasculaire, il augmenterait aussi le risque de développer certains cancers. L’analyse, conduite entre 2010 et 2019, révèle qu’environ 1 nouveau cancer sur 6 pourrait être lié à une insuffisance cardiaque (IC) préexistante. Focus sur ces résultats et leurs implications.
Un lien désormais mesuré entre insuffisance cardiaque et cancer
Une étude de grande ampleur
En croisant les dossiers médicaux du Système national des données de santé (SNDS), les chercheurs ont suivi 330 867 personnes hospitalisées pour insuffisance cardiaque (IC) et près d’un million de Français du même âge et du même sexe sans IC. Cette analyse révèle que :
- Chaque année, on compte 22 nouveaux cancers pour 1 000 personnes souffrant d’insuffisance cardiaque, contre 17 pour 1 000 dans la population témoin.
- Le risque de développer un cancer est augmenté 7 % toutes localisations confondues, après avoir tenu compte des principaux facteurs favorisants connus (tabagisme, consommation d’alcool, comorbidités).
- Les types de cancer les plus concernés sont le poumon (+40 %), le côlon (+20 %) et certains cancers hématologiques, comme le myélome multiple (+20 %).
Au total, les auteurs estiment que 16,5 % des nouveaux diagnostics de cancer pourraient être attribuables à une IC préexistante dans la population adulte française.
Un pronostic moins favorable
Lorsque le cancer survient chez une personne souffrant d’insuffisance cardiaque, le risque de décès augmente d’environ 33 % par rapport aux patients atteints de cancer sans antécédent cardiaque. Cela pourrait s’expliquer par une moindre résistance physique et une tolérance réduite aux traitements anticancéreux.
Quels sont les mécanismes impliqués entre insuffisance cardiaque et cancer ?
Inflammation chronique et dérégulation immunitaire
L’insuffisance cardiaque s’accompagne souvent d’une inflammation persistante, même à bas bruit. Cette inflammation se manifeste par une production élevée de certaines molécules, comme la CRP ou l’interleukine -6, qui favorisent la prolifération cellulaire et les anomalies de l’ADN, deux facteurs connus de cancérogenèse.
Propriétés pro-tumorales de certaines protéines cardiaques
Des travaux ont montré qu’un cœur en défaillance libère dans la circulation sanguine des protéines spécifiques (comme SerpinA3, fibronectine ou paraoxonase -1) qui peuvent favoriser la croissance de petites tumeurs, notamment dans l’intestin.
Cellules sanguines anormales
Avec l’âge, certaines cellules de la moelle se multiplient anormalement (CHIP). Elles sont impliquées à la fois dans la fibrose cardiaque et dans la survenue de cancers hématologiques. Ce lien pourrait expliquer en partie l’association observée avec le myélome multiple.
Faut-il dépister le cancer chez les insuffisants cardiaques ?
Pourquoi envisager un dépistage ciblé ?
Les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque cumulent plusieurs facteurs de risque oncologique : vieillissement biologique prématuré, comorbidités métaboliques, traitements pouvant altérer la réponse immunitaire. Repérer un cancer à un stade précoce pourrait ainsi améliorer la prise en charge globale et limiter les effets secondaires cardiovasculaires de certains traitements.
Quels examens effectuer ?
Des examens réalisés en routine chez les patients insuffisants cardiaques pourraient être optimisés pour le dépistage des cancers :
- Une radiographie ou un scanner thoracique, souvent pratiqués pour évaluer une décompensation cardiaque, pourraient aussi permettre de diagnostiquer un cancer bronchique, en particulier chez les fumeurs ;
- Une échographie abdominale, utile pour évaluer une congestion hépatique, pourrait également servir à rechercher une masse au niveau du foie, du rein ou du côlon ;
- Un bilan sanguin standard pourrait être enrichi de quelques marqueurs oncologiques simples, tels que le PSA, l’hémogramme ou un test de sang occulte dans les selles.
Des équipes de recherche travaillent actuellement à l’élaboration d’algorithmes de dépistage cardio-oncologique, prenant en compte l’âge, la fonction cardiaque et le niveau d’inflammation chronique, afin de mieux cibler les patients à surveiller.
L’insuffisance cardiaque ne se limite pas à un risque de décompensation cardiovasculaire, elle représente également un facteur de risque de cancer. En croisant les approches cardiologiques et oncologiques, il devient possible d’imaginer des parcours de soin plus complets et mieux adaptés aux profils à risque. Une nouvelle étape vers une médecine de précision, globale et préventive.
– Heart Failure Stimulates Tumor Growth by Circulating Factors. www.ahajournals.org. Consulté le 9 juin 2025.
– L’insuffisance cardiaque serait un facteur de risque indépendant du cancer. www.lequotidiendumedecin.fr. Consulté le 9 juin 2025.
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