Montres et bracelets connectés, smartphone avec enregistrement de la respiration, dispositif à mettre sur le lit ou la table de chevet… Même si le développement des objets connectés suivant la qualité du sommeil part d’une bonne intention, ces dispositifs sont aussi source d’anxiété pour leurs utilisateurs. Décrite en 2017 dans une étude américaine, l’obsession d’avoir un sommeil parfait, ou orthosomnie, occasionne stress et de confusions. Zoom sur ce trouble psychologique et les limites technologiques des trackers de sommeil.
L’orthosomnie : la quête maladive d’un sommeil parfait
Aux Etats-Unis, 10% de la population est équipée par un dispositif de suivi du sommeil et la moitié de la population envisage d’en posséder un à l’avenir.
En France, presque la moitié des 25-34 ans considèrent qu’ils dorment moins que leurs besoins et acquièrent de plus en plus ces objets connectés pour améliorer la qualité de leur sommeil.
Ces données inquiètent énormément les spécialistes du sommeil, car de plus en plus de personnes utilisant un tracker de sommeil, ou sleep traker (en anglais), pour améliorer la qualité de leur nuit.
La croissance de ces types de consultations médicales trouve souvent son origine dans les données peu fiables et approximatives fournies par les dispositifs de suivi du sommeil.
Dans une étude de 2017 publiée dans la revue Journal of Clinical Sleep Medecine, l’équipe de Kelly Glazer Baron de la faculté de médecine de l’université Rush de Chicago a partagé l’expérience de trois citoyens américains utilisant des trakers de sommeil.
Cette étude de cas montre que les dispositifs de suivi du sommeil renforcent le stress, voire l’anxiété, relatifs à la qualité du sommeil et pousse les utilisateurs vers un perfectionnisme non justifié. Certains passent trop de temps dans leur lit dans l’espoir d’obtenir un bon score tandis que d’autres aggravent, sous la pression de l’anxiété, leurs insomnies chroniques ou leur temps d’endormissement.
D’autres stressent quand il constate qu’ils n’ont pas eu un temps de sommeil paradoxal idéal. En parallèle, les individus deviennent dépendants à leur dispositif de suivi de sommeil.
À savoir ! Le sommeil paradoxal est un stade du sommeil caractérisé par un relâchement musculaire accompagné de mouvements oculaires rapides d’où son nom de Stade REM pour « Rapid Eye Movement ». Les fonctions vitales comme la respiration ou le rythme cardiaque sont instables. Le terme « sommeil paradoxal » vient du paradoxe entre des signes de sommeil profond (atonie musculaire) et des signes d’éveil (ondes électriques et mouvements oculaires rapides).Il correspond à la phase des rêves car le dormeur présente une activité onirique intense. Il représente environ 20% du sommeil global
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Les trackers de sommeil : un outil à utiliser avec discernement
Dans une interview au New York Times, le docteur Kelly Baron admet que ces appareils permettent parfois de déceler des troubles du sommeil chez une personne. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces objets connectés, mesurant le sommeil en suivant l’activité physique (les mouvements), la fréquence cardiaque ou le rythme de la respiration, ne sont pas des dispositifs médicaux et qu’il ne sont pas aussi fiables que des polysomnographes, par exemple.
À savoir ! La polysomnographie enregistre plusieurs paramètres physiologiques tels que l’activité cérébrale, l’activité cardiaque, l’activité musculaire ou encore les mouvements des globes oculaires.
La quantité énorme de données avec des explications complexes, ainsi que des graphiques qui comparent le sommeil avec celui d’autres personnes, engendrent une confusion et un mésusage de ces objets.
Sans oublier que les données collectées peuvent être erronées et vous pensez avoir trop dormi, pas assez dormi ou mal dormi alors que ce n’est pas le cas.
Une étude de comparaison entre un dispositif médical de suivi du sommeil et un objet connecté sur 60 personnes avait montré que les résultats de la montre connectée ne concordaient qu’à 70% avec ceux obtenus par l’appareillage médical.
Les spécialistes précisent qu’il faut avoir du recul par rapport à leur utilisation afin de ne pas rentrer dans une anxiété injustifiée sur les données de qualité de son sommeil collectées par ces dispositifs.
Pour Seema Khosla, directrice médicale du Centre pour le sommeil de Dakota du Nord et membre du comité de l’Académie américaine pour la médecine du sommeil, qui s’est confiée aux journalistes du New York Times : » L’étude sur l’orthosomnie montre même que certaines personnes préfèrent remettre en question les diagnostics des experts : une femme ayant suivi un traitement pour ses troubles du sommeil, et qui a pu dormir profondément au labo à sa venue, n’était tout de même pas rassurée et elle s’est interrogée sur « Pourquoi ma Fitbit dit alors que je ne dors pas assez » ?”
Enfin, et même si des divergences de point de vue existent entre les professionnels de santé et les vendeurs et développeurs de trakers de sommeil, ils restent d’accord sur plusieurs points dont :
- Le besoin d’avoir une quantité et une qualité de sommeil suffisante pour être en bonne santé au quotidien et qu’une insomnie chronique augmente le risque d’avoir de problèmes cardiaques, d’hypertension artérielle, d’anxiété ou de dépression ;
- L’importance d’une heure de coucher et d’une heure de réveil constantes et que l’alcool et l’exercice physique le soir peuvent avoir des répercussions sur la qualité du sommeil.
Pour les médecins spécialistes du sommeil, surveiller son sommeil à l’aide d’une application n’a pas seulement des aspects négatifs et cela permet d’obtenir des indications sur la nuit passée (temps passé au lit, rythme cardiaque, différence entre sommeil profond et paradoxal, etc.).
Si vous souffrez de troubles du sommeil affectant votre qualité de vie, faites d’abord confiance aux professionnels de santé. Aidez-vous, ensuite, et avec discernement, avec des objets connectés !
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Julie P., Journaliste scientifique