L’aspirine est actuellement prescrite dans la prévention du risque cardiovasculaire chez de nombreuses personnes, ayant ou non des antécédents d’accidents cardiovasculaires. Les résultats récemment publiés de deux études cliniques semblent pourtant démontrer que l’utilisation de l’aspirine en prévention primaire du risque cardiovasculaire aurait un intérêt très discutable, pour au moins deux catégories de patients.
L’aspirine en prévention du risque cardiovasculaire
En dehors de ses propriétés antalgiques, antipyrétiques et anti-inflammatoires, l’aspirine est actuellement indiquée dans la prévention du risque cardiovasculaire dans deux contextes :
- En prévention primaire, c’est-à-dire chez des personnes sans antécédents d’accidents cardiovasculaires, mais présentant des facteurs de risque ;
- En prévention secondaire, après un accident cardiovasculaire pour prévenir la survenue d’un nouvel évènement.
Les études scientifiques menées sur l’aspirine ont mis en évidence son efficacité dans la prévention secondaire du risque cardiovasculaire. En revanche, des doutes subsistaient sur son intérêt en prévention primaire.
Récemment, deux études cliniques de grande envergure se sont justement penchées sur cette question :
- L’étude ARRIVE, chez des patients présentant un risque cardiovasculaire modéré ;
- L’étude ASCEND, chez des patients diabétiques de type 2.
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ARRIVE : un rapport bénéfice / risque défavorable pour l’aspirine
La première étude, baptisée ARRIVE, a porté sur 12 456 patients de plusieurs pays (Allemagne, Espagne, Irlande, Italie, Pologne, Royaume-Uni et USA), ayant un risque cardiovasculaire modéré (entre deux et quatre facteurs de risque cardiovasculaire, avec un risque d’accident cardiovasculaire estimé à 10 ans de 20 à 30 %).
Au terme d’une période de suivi de plusieurs années (5 ans en moyenne), aucune différence significative n’a pu être observée sur la survenue globale d’évènements cardiovasculaires entre le groupe traité par l’aspirine et le groupe placebo. Les chercheurs ont néanmoins pu noter que le risque d’infarctus du myocarde était abaissé, en particulier chez les participants les plus jeunes (moins de 60 ans).
Parallèlement, les effets secondaires étaient plus nombreux chez les participants traités par l’aspirine, les plus fréquemment observés étant les troubles digestifs, les saignements de nez et le reflux gastro-œsophagien. L’évaluation du principal risque associé à l’aspirine, les saignements, a montré que les saignements gastro-intestinaux étaient deux fois plus fréquents avec l’aspirine qu’avec le placebo.
Les chercheurs de l’étude ARRIVE ont conclu que l’aspirine en prévention primaire du risque cardiovasculaire n’apportait pas de bénéfice, au regard du risque de saignement et d’effets secondaires. Ils expliquent un tel résultat par les progrès récents dans la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire. En effet, les deux tiers des patients de l’étude étaient traités en parallèle avec des médicaments antihypertenseurs (contre l’hypertension artérielle) et hypolipémiants (contre les troubles lipidiques, comme l’excès de cholestérol).
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ASCEND : des résultats similaires chez les diabétiques
La seconde étude, ASCEND, avait pour objectif d’évaluer l’efficacité et la sécurité d’emploi de l’aspirine en prévention primaire du risque cardiovasculaire chez des patients diabétiques. Au total, 15 480 patients ont participé à l’étude et ont été traités par 100 mg / jour d’aspirine ou par un placebo.
Après plus de 7 années de suivi, les résultats de l’étude ont montré que l’aspirine permettait de réduire significativement le risque (-12%) de survenue des accidents cardiovasculaires majeurs suivants :
- Les infarctus du myocarde ;
- Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ;
- Les accidents ischémiques transitoires (AIT).
En revanche, ce traitement préventif était associé à une augmentation du risque de saignements majeurs (+29 %), notamment au niveau gastro-intestinal. Les patients sont toujours suivis actuellement pour évaluer l’intérêt de l’aspirine en prévention primaire à plus long terme, mais à ce stade, les auteurs de l’étude concluent à une absence de bénéfice clair de l’aspirine dans cette indication, chez les diabétiques de type 2. A nouveau, les chercheurs mettent en avant un meilleur suivi global des patients diabétiques, qui limiterait le risque d’accident cardiovasculaire.
Les résultats de ces deux études sont sans appel sur l’intérêt plus que discutable de l’aspirine en prévention primaire du risque cardiovasculaire. Le rapport bénéfice / risque de ce médicament est défavorable chez les patients ayant un risque cardiovasculaire modéré et chez les patients diabétiques. La prescription systématique d’aspirine pour prévenir les accidents cardiovasculaires chez des personnes sans antécédents cardiovasculaires ne serait donc pas recommandée. L’aspirine dans cette indication ne devrait alors être prescrite qu’au cas par cas !
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Estelle B. / Docteur en Pharmacie
– Use of aspirin to reduce risk of initial vascular events in patients at moderate risk of cardiovascular disease (ARRIVE): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Gaziano, J.M. and al. 2018. The Lancet.