Grossesse et alcool : découverte d’un biomarqueur dans le placenta

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Rédigé par Julie P. et publié le 20 février 2019

Depuis 50 ans, on sait que la consommation d’alcool pendant la grossesse peut provoquer des malformations du fœtus. Cependant, les mécanismes expliquant la survenue de ces troubles du développement restent encore mal élucidés. Une équipe de chercheurs de Rouen vient de détecter, dans le placenta, un biomarqueur (une molécule) permettant de repérer des anomalies dans la formation des vaisseaux sanguins cérébraux du fœtus.

femme enceinte bouteille à la main, biomarqueur placenta

Les effets de l’exposition in utero à l’alcool encore mal compris

Aujourd’hui, plusieurs causes rentrent en jeu dans la survenue de troubles de développement liés à une exposition intra-utérine à l’alcool.

Les éléments déclenchants les troubles liés à l’alcool chez le fœtus sont nombreux et encore discutés : le stade de la grossesse, la fréquence et la quantité d’alcool absorbé, la tendance au binge drinking (consommation rapide d’une grande quantité d’alcool).

De plus, les chercheurs s’interrogent aussi sur la variabilité des effets de l’exposition en fonction des individus (prématurité, impact sur le développement cérébral, impact sur le développement des organes, etc).

« Pourtant, il n’existe pas d’effet de seuil pour l’exposition à l’alcool. Il est toxique tout au long du développement. Selon les périodes concernées, cette toxicité s’exprimera différemment : c’est ce que l’on appelle la fenêtre de vulnérabilité. Mais ce n’est pas parce que l’on en prend peu qu’il n’y aura pas d’effets » précise Bruno Gonzalez, neurologue et directeur de recherche Inserm.

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Améliorer le dépistage grâce au biomarqueur placentaire

La prévalence des troubles causés par l’alcoolisation fœtale est importante et représente 20 naissances sur 1000 en Europe. Une statistique certainement sous-évaluée car les troubles sont parfois non diagnostiqués.

À savoir ! En analysant les données d’hospitalisations de 2006 à 2013, Santé Publique France a recensé 3 207 nouveau-nés touchés par, au moins, une conséquence liée à l’alcoolisation fœtale comme un retard de croissance ou une atteinte du système nerveux central. Parmi eux, 452 présentaient le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF). C’est donc une naissance par semaine.

Cependant, seul le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) est couramment diagnostiqué pendant la grossesse, car il est visible à l’échographie : déformations du crâne, caractéristiques typiques sur le visage. Les autres symptômes sont une malformation cérébrale et des déficits cognitifs.

De nombreux enfants ayant été exposés à l’alcoolisation maternelle sont repérés tardivement, vers l’âge de 5 à 6 ans, période à laquelle ils auront des difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement.

Pour prendre en charge plus efficacement ces enfants et répondre à des stratégies néonatales sans risque, les chercheurs rouennais ont découvert un biomarqueur de l’alcoolisation dans le placenta.

« Jusqu’ici, on ne disposait que de biomarqueurs d’exposition, c’est-à-dire d’outils qui permettent de déterminer si l’enfant a été exposé à l’alcool grâce à la détection de composés témoignant de son métabolisme ou de sa toxicité, dans le foie notamment. Il nous fallait un biomarqueur qui puisse nous informer sur la qualité du neurodéveloppement, ce qui n’existait pas » souligne Bruno Gonzalez.

Ce biomarqueur (une molécule biologique qui peut être dosée) indique les anomalies de l’angiogenèse (formation des vaisseaux) cérébrale. Cette molécule est le facteur de croissance placentaire (PGLF) qui joue un rôle dans la croissance du placenta et du cerveau du fœtus. En le dosant dans le placenta, il est alors possible d’évaluer le niveau d’aboutissement de l’angiogenèse cérébrale.

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Le facteur de croissance placentaire : un biomarqueur et une molécule thérapeutique ?

Dans le cerveau, les vaisseaux ont un rôle crucial pour assurer l’apport d’énergie, d’oxygène et favoriser la migration de certaines cellules nerveuses. Cette vascularisation est en lien direct avec le développement neuronal de l’embryon et du fœtus.

Dans leurs observations, les chercheurs ont mis en évidence qu’à partir d’un certain stade du développement, l’angiogenèse était anormale chez tous les enfants exposés à l’alcool in utero. Leurs artères et veines cérébrales étaient bien présentes, mais désorganisées. Par « un effet domino », les cellules nerveuses qui utilisent ces vaisseaux comme guide présentent elles aussi des anomalies.

En allant plus loin, les chercheurs ont mis en évidence, chez l’animal, que réprimer ou amplifier l’expression du gène codant pour le PLGF permettait de mimer les atteintes provoquées par l’alcool, ou de les diminuer. Ce biomarqueur serait donc également utile, dans certaines proportions, pour limiter les conséquences délétères d’une exposition à l’alcool in utero en étant administré juste après la naissance.

En attendant la validation de leur brevet biomarqueur et de leur brevet thérapeutique, les chercheurs vont tester dans quelles mesures la variation du PLGF placentaire permettrait d’agir sur les troubles du comportement induits par l’alcoolisation in utero.

En attendant, d’autres campagnes de prévention doivent être menées pour encourager les femmes enceintes à ne consommer aucun alcool pendant leur grossesse et suivre une hygiène de vie saine.

En France, les chiffres montrent que le nombre de nouveaux nés diagnostiqués avec un SAF a diminué mais qu’en contrepartie, le nombre d’enfants ayant des troubles liés à une alcoolisation fœtale (aTCAF) a augmenté.

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Julie P., Journaliste scientifique

Alcoolisation fœtale : Un organe inattendu entre en scène | Inserm – La science pour la santé. INSERM. Consulté le 18 février 2019.