Crise suicidaire


Rédigé par Estelle B. et publié le 6 août 2024

Crises suicidaires

La crise suicidaire est un épisode psychique aigu, marqué par un risque majeur de tentative de suicide. Il est essentiel de savoir la reconnaître et comment réagir pour mettre en place une prise en charge adaptée. Si besoin, un traitement médicamenteux, voire une hospitalisation peuvent être nécessaires.

Qu’est-ce que la crise suicidaire ?

La crise suicidaire est une crise psychique grave, car elle peut amener à une tentative de suicide. Les chercheurs ont développé un modèle pour expliquer la survenue d’une crise suicidaire, chez une personne ayant ou non des conduites suicidaires. Trois états successifs se succèderaient :

  • L’état d’équilibre, lorsque le sujet peut gérer à peu près toutes les situations même difficiles qui se présentent à lui. Il peut être par moments fragilisé, mais sans jamais être perdu.
  • L’état de vulnérabilité lorsque le sujet commence à se sentir dépassé, submergé. Cet état peut évoluer de trois façons : soit vers un retour à l’état d’équilibre, soit vers une persistance des problèmes auxquels le sujet peut faire face, soit vers une persistance des problèmes sans que le sujet puisse y faire face, il risque alors de perdre pied.
  • L’état de crise suicidaire, défini comme une crise psychique, situation de rupture et de souffrance, dont le risque majeur est le suicide. Puis le calme revient peu à peu, c’est la récupération de la crise.

Les idées de suicide apparaissent dès la phase de vulnérabilité. Importantes et fugaces, elles occupent une part de plus en plus importante de la conscience, elle s’aggravent au fur et à mesure de l’évolution de la crise et peuvent se préciser jusqu’à parfois des plans clairement définis et arrêtés dans la tête des sujets. Au-delà du modèle, l’interaction entre les évènements extérieurs auxquels nous sommes confrontés et les facteurs de risque, constituant la vulnérabilité,  vont influencer et moduler le déroulement de la crise suicidaire.

Sommes-nous tous exposés au risque de crise suicidaire ?

Les facteurs de fragilité (qu’il s’agisse de dépression  ou d’évènements de vie stressants) ne conduisent au suicide que chez certains sujets qui présentent une vulnérabilité particulière. Ces facteurs peuvent être :

  • des traits de personnalité comme l’impulsivité ou l’agressivité qui s’expriment par la colère ou la violence ainsi que le pessimisme et le désespoir,
  • les antécédents de tentatives de suicide,
  • les antécédents familiaux de conduite suicidaire.

Les chercheurs émettent différentes hypothèse pour expliquer cette vulnérabilité : des mécanismes neurobiologiques et des mécanismes neuroanatomiques. Des dysfonctionnements d’un neurotransmetteur, la sérotonine, sont notamment suspectés.

Quels sont les signes de la crise suicidaire ?

Si le recours au médecin doit être systématique, les proches sont souvent les premiers témoins de l’installation de la crise suicidaire. Les idées suicidaires ne sont pas toujours clairement exprimées et sont parfois masquées et difficiles à identifier. Au début de la crise on peut observer des manifestations indirectes de « crise psychique » caractérisées par des modifications du comportement, l’impression que le sujet est préoccupé, différent, soucieux.

La survenue de modifications du contexte socioprofessionnel ou affectif ou d’une maladie physique peuvent créer une vulnérabilité et doivent faire l’objet d’une certaine vigilance par l’entourage. Des conflits inhabituels, une difficulté à supporter la hiérarchie, les arrêts de travail à répétition ou au contraire le surinvestissement au travail peuvent alerter.

Fatigue, anxiété, tristesse inhabituelle ou agressivité peuvent être les premiers signaux, souvent associés à une perte du goût pour les choses, un manque d’envie, un sentiment d’échec et d’inutilité et une mauvaise image de soi.

On peut aussi être alerté par des perturbations du sommeil, de l’appétit, de la libido, de la mémoire ainsi que des appétences nouvelles pour l’alcool, les toxiques ou des prises de risques inhabituelles (conduite automobile rapide…).

Lorsque la crise est installée, des comportements particulièrement préoccupants peuvent être observés : expression de désespoir, de grande souffrance, réduction du sens des valeurs, cynisme, goût pour le morbide, recherche d’arme à feu… Une accalmie suspecte, un « comportement de départ » (classements, rangements, a fortiori rédaction d’un testament…) doivent tout particulièrement alerter.

Bien entendu, tous ces signes ne sont pas spécifiques pris isolément et c’est leur regroupement et surtout la rupture avec l’état antérieur qui doit alerter l’entourage et le conduire à provoquer une investigation complémentaire par un médecin, à la recherche notamment d’un trouble dépressif.

Quelle conduite adopter face à une crise suicidaire ?

Les familles, et en particulier les parents d’adolescents, doivent accorder une grande valeur à leur ressenti et à leurs inquiétudes, et ne pas hésiter à demander une aide à l’extérieur de la famille, notamment auprès de professionnels. Lorsqu’un proche évoque des idées suicidaires, il est indispensable de le convaincre de rencontrer un professionnel de santé mentale.

Les proches doivent à tout prix maintenir le lien avec le sujet, même si celui-ci tend à s’isoler. Ces attitudes de bienveillance, d’écoute, de dialogue et d’alliance favoriseront le recours aux réseaux d’aide et au soin.

Ils doivent empêcher l’accès aux moyens de suicide, retirer les objets susceptibles d’être utilisés par la personne en crise pour s’auto-agresser, en ne banalisant ni ne dramatisant la crise. Il est important de pouvoir mettre en mots, les tensions ressenties et réagir dans la famille.

Dans tous les cas tout propos, a fortiori tout geste suicidaire, doit être « pris au sérieux » et conduire à une évaluation approfondie.

Plusieurs intervenants peuvent être consultés :

  • le médecin psychiatre qui suit le patient,
  • le médecin généraliste,
  • un service d’urgences psychiatriques,
  • centre d’accueil et de crise (CAC),
  • services médicaux privés,
  • le centre médico-psychologique (CMP),
  • La police, les pompiers ou bien encore le SAMU ;
  • Des centres spécialisés dans certaines grandes villes.

À savoir ! En milieu scolaire le cumul des difficultés sociales et familiales, l’absentéisme scolaire, l’isolement au sein du groupe, la consultation auprès de l’infirmière scolaire ou du psychologue, le fait qu’un tiers vienne s’inquiéter pour un élève sont à considérer avec une grande vigilance. L’infirmière et le médecin scolaire peuvent informer sur les réseaux d’écoute et d’accueil jeune (numéros verts et accueils locaux), proposer à l’élève de le rencontrer, éventuellement plusieurs fois. Ils doivent prévenir les parents d’un mineur de leurs inquiétudes. En cas d’imminence de passage à l’acte, ils doivent solliciter l’aide urgente du réseau de soins (médecins traitants, dispositif d’urgence ou spécialisé en psychiatrie).

Dans le milieu professionnel où les conflits sont souvent de gestion difficile et ont un retentissement important sur la souffrance psychique des employés, l’infirmière et le médecin du travail sont des interlocuteurs privilégiés. Ils doivent rechercher des idées suicidaires, surtout en cas de consultations répétées de médecine du travail, particulièrement après un arrêt maladie et lorsqu’ils ont connaissance d’une maladie psychiatrique associée. Ils peuvent s’appuyer sur l’entourage du sujet et être en lien avec les médecins traitants, notamment le médecin généraliste. Si le risque immédiat parait élevé, alors, ils doivent avoir recours à l’aide urgente du réseau de soins.

Quelle prise en charge en cas de crise suicidaire ?

Médecin généraliste et psychiatre sont les deux professionnels clés de la prise en charge de la crise suicidaire. Si le niveau d’urgence est élevé, une hospitalisation en service de psychiatrie peut être décidée en accord avec le patient. Si celui-ci s’y oppose et paraît pourtant en danger, le médecin peut dans certains cas prendre contact avec la famille du patient afin, non seulement, de les informer mais surtout de les guider dans les démarches permettant de surveiller le patient mais surtout de l’amener à consulter aux urgences où la décision d’une hospitalisation pourra être prise.

Parfois, lorsque la personne suicidaire ne paraît pas être en état de consentir aux soins du fait même de sa maladie, une hospitalisation sur demande d’un tiers (HDT) peut être nécessaire, contre l’avis du patient mais à la demande de l’entourage et au vu d’au moins un certificat médical descriptif précisant la nécessité des soins immédiats et d’une surveillance constante, et l’incapacité à consentir de la personne hospitalisée.

D’une manière générale, tout sujet qui commet une tentative de suicide, a fortiori s’il est adolescent, doit être adressé aux urgences d’un établissement de soins afin de bénéficier d’une évaluation médicale, psychologique et sociale. L’évaluation psychologique est réalisée par un psychiatre. Il évalue ensuite la crise suicidaire :

  • le niveau de souffrance : il se traduit par un grand désespoir, des sentiments de dévalorisation ou d’impuissance voire de culpabilité. Cette souffrance a pu entraîner un repli sur soi avec un isolement relationnel, qu’il faut évaluer.
  • l’intention suicidaire : il est indispensable d’évaluer l’intensité de l’intention du sujet. Celle-ci se mesure grâce à l’évaluation des idées envahissantes, des ruminations, de la communication à autrui de l’intention de passer à l’acte, des plans et scénarios suicidaires envisagés, des attitudes par rapport aux soins proposés.
  • l’impulsivité : elle se traduit par une tension psychique, une instabilité comportementale, voire une agitation motrice ou un état de panique. On retrouve souvent des antécédents de passage à l’acte, de fugue ou d’actes violents.
  • un éventuel élément précipitant : conflit, échec, rupture, perte, …
  • la présence de moyens mortels à disposition : armes à feu, médicaments dangereux, etc…
  • la qualité du soutien de l’entourage proche : il est indispensable de pouvoir évaluer si l’entourage peut s’avérer suffisamment contenant et soutenant pour encadrer le patient ou si au contraire les relations avec l’entourage sont délétères dans ce moment aigu.
  • la consommation de toxiques.

L’ensemble des éléments recueillis lors de l’évaluation orientent le psychiatre vers une hospitalisation ou un avis spécialisé en ambulatoire.

Quels sont les traitements de la crise suicidaire ?

Il n’existe pas de traitement médicamenteux spécifique du risque suicidaire. Avant tout, la meilleure prévention médicamenteuse est le traitement des maladies psychiatriques qui peuvent être associées à un risque suicidaire :

  • antidépresseurs dans la dépression,
  • régulateurs de l’humeur ou thymorégulateurs dans les troubles de l’humeur, notamment les troubles bipolaires,
  • antipsychotiques dits atypiques ou neuroleptiques dans la schizophrénie et les états psychotiques.

Notons que dans le trouble bipolaire il semble que le lithium prescrit au long cours réduise considérablement les risques de décès par suicide.

Ces traitements n’agissent pas à très court terme. Aussi en phase aiguë, dans les situations urgentes où le risque parait important et où un apaisement rapide de l’état paraît indispensable, un traitement ponctuel peut être administré, par exemple par neuroleptiques sédatifs ou anxiolytiques, sans oublier qu’un tel risque nécessite dans la plupart des cas une surveillance en milieu hospitalier.

À savoir ! Contrairement à certains idées reçues particulièrement ancrées en France, il n’existe pas de preuves expérimentales en faveur d’un intérêt des anxiolytiques et notamment des benzodiazépines au long cours pour prévenir le risque suicidaire. A l’inverse, un certain nombre d’études plaident en faveur d’un probable effet défavorable de ces médicaments chez certains patients en raison du risque d’addiction et d’utilisation détournée.

Comment prévenir la récidive de la crise suicidaire ?

Le risque très important de récidive, notamment pendant l’année suivant la première tentative de suicide, rend le suivi essentiel. Les modalités proposées seront adaptées au stade évolutif de la crise, au moment de la prise en charge, au contexte dans lequel elle s’inscrit et aux professionnels ou intervenants sollicités.

La continuité des soins doit être envisagée et organisée dès le début de la prise en charge de la crise et adaptée à chaque situation : suivi par un psychiatre ou un psychologue, traitement médicamenteux ou non, etc… Une prise en charge psychothérapique peut être proposée : psychothérapies de soutien, psychothérapies d’inspiration analytique, thérapies comportementales et cognitives, thérapies familiales, thérapies brèves, hypnose…

Dans le cas de sujets présentant une maladie psychiatrique associée, le suivi médical est indispensable.

En pratique pourtant on observe une très mauvaise adhésion des patients aux projets de soins proposés, seuls 10 à 50 % suivent le projet. Les meilleures stratégies peuvent alors comprendre des relances téléphoniques par les équipes voire un suivi à domicile.

La prise en charge familiale et la prise en compte du contexte familial semblent aussi être des facteurs de meilleure adhésion aux soins.


Estelle B., Docteur en Pharmacie

Sources
– Crise suicidaire : agir avant la tentative de suicide. www.ameli.fr. Consulté le 19 juillet 2024.
– La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. www.has-sante.fr. Consulté le 19 juillet 2024.
– La crise suicidaire. Info suicide. www.infosuicide.org. Consulté le 19 juillet 2024.

 

 

 

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