C’est bien connu, nous ne sommes pas tous égaux face à la douleur. Certains s’en accommodent quand d’autres y sont nettement plus réceptifs. Et s’il existait une différence de sensibilité à la douleur entre les hommes et les femmes ? C’est ce que suggère une équipe de scientifiques français. Leur étude décrypte les mécanismes impliqués dans la sensibilité à la douleur et la réponse aux traitements antalgiques.
Une sensibilité à la douleur accrue chez les femmes
Qualifiées de « chroniques » lorsqu’elles durent plus de trois mois, les douleurs persistantes affecteraient 30 % des adultes. C’est ce que révèle une enquête Stopnet menée en 2004 auprès de 30155 personnes représentatives de la population générale. Touchant de plus en plus de personnes avec l’âge, ces douleurs chroniques semblent également affecter plus particulièrement les femmes. Certaines leur sont d’ailleurs spécifiques. Il s’agit des douleurs prémenstruelles ou liées à l’endométriose. Il existe par ailleurs des douleurs communes aux deux sexes, mais prépondérantes chez les femmes, comme la fibromyalgie.
Dès lors, pourrait-on envisager une différence de sensibilité à la douleur entre les sexes ? Certaines hypothèses avancent l’influence de facteurs sociaux ou hormonaux pour expliquer ce phénomène. Mais, les chercheurs conviennent que les données actuelles ne suffisent pas à expliquer les mécanismes sous-jacents.
Dans ce contexte, des chercheurs strasbourgeois ont voulu décrypter les mécanismes potentiellement impliqués dans la sensibilité à la douleur et la réponse aux traitements analgésiques.
Une réponse aux antidouleurs différente selon le sexe
Ainsi, les scientifiques ont étudié chez des souris mâles et femelles la sensibilité aux traitements antidouleur à base de morphine. La morphine constitue l’analgésique de référence pour soulager la douleur sévère. L’objectif de ces travaux ? Percer à jour les mécanismes expliquant les différences liées au sexe dans la sensibilité aux traitements contre la douleur.
Les chercheurs se sont ainsi appuyés sur la notion de « nociception » qui est à l’origine de la sensation de douleur. Car il faut savoir que la morphine inhibe la nociception et allonge le temps de latence entre un stimulus douloureux et l’apparition d’un réflexe d’évitement.
À savoir ! La nociception correspond à l’ensemble des processus nerveux capables de détecter, de transmettre et d’intégrer un message d’alarme suite à une stimulation présentant un danger potentiel ou avéré pour le corps.
Pour comprendre les mécanismes de la douleur chez la souris, les chercheurs ont alors comparé le temps de latence dans des conditions normales puis après la prise de morphine. Ils ont pu observer des résultats différents selon le sexe des rongeurs :
- Besoin plus important de morphine chez les souris femelles par rapport aux souris mâles pour un même effet analgésique.
- Variation de la tolérance à la morphine selon le sexe. Ils ont noté une perte totale d’effet de la morphine au bout de 6 jours seulement chez les femelles, contre 9 jours chez les mâles.
Pour les scientifiques, ces différences entre les sexes s’expliqueraient par le devenir de la morphine dans l’organisme. Chez la souris, la morphine est en effet dégradée en une molécule, appelée M3G, qui augmente la sensibilité à la douleur. Or, la morphine est transformée en M3G de manière bien plus importante chez les rongeurs femelles que chez les rongeurs mâles. « Le ratio morphine/M3G penche ainsi clairement dans le sens d’une diminution de l’activité analgésique de la morphine chez les femelles », expliquent les chercheurs.
Vers une meilleure prise en charge de la douleur selon le sexe ?
Ces résultats, observés chez la souris, penchent en faveur de l’hypothèse d’un dimorphisme sexuel dans le métabolisme de la morphine. Pour autant, ces résultats seraient-ils également observables chez l’être humain ? Pour le vérifier, des études cliniques à grande échelle doivent être conduites. L’objectif sera de vérifier si une adaptation de la posologie des traitements analgésiques est nécessaire chez les femmes pour une meilleure prise en charge de leur douleur.
Cette étude ouvre enfin de nouvelles perspectives quant à la prise en charge médicale globale des femmes par rapport aux hommes. Tout l’enjeu consistera à savoir si l’offre médicamenteuse est réellement adaptée au métabolisme des femmes.
Déborah L., Docteur en Pharmacie
– Douleur : la sensibilité dépend du sexe. inserm.fr. Consulté le 4 mai 2022.