Alexithymie


Rédigé par Alexia F. et publié le 27 janvier 2022

visage dans les nuages

Des maux sans les mots, c’est ainsi que l’alexithymie pourrait être définie. Il s’agit d’une affection menant à l’incapacité d’avoir conscience de ses émotions et de les identifier. L’alexithymie a un retentissement majeur sur la vie des personnes touchées et de leur entourage.  Au quotidien, elle se traduit par de grandes difficultés à tisser des liens avec les autres et, parfois, par l’apparition de douleurs chroniques. L’alexithymie est également un facteur de risque important de troubles psychopathologiques tels que les troubles du spectre autistique. Ainsi, les personnes alexithymiques peuvent suivre une psychothérapie afin d’apprendre à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent.

Définition et symptômes de l’alexithymie

Qu’est-ce que c’est ?

Le terme alexithymie est introduit pour la première fois en 1973 par le psychiatre Peter Emmanuel Sifneos. Il découle de l’observation de similitudes psychologiques chez des patients atteints de troubles psychosomatiques, c’est-à-dire d’affections physiques dont l’origine est au moins en partie liée à l’état psychique. Son étymologie découle du grec avec le a privatif ; lexi qui fait référence aux mots ; thymie qui fait appel à la notion d’émotion ou d’humeur. Ainsi, au sens littéral, l’alexithymie est l’absence de mots pour qualifier les émotions.

différents visages avec des émotions différentes

Selon les études, elle touche 5 à 15% de la population générale, avec une prévalence bien plus élevée chez les hommes. Par ailleurs, l’alexithymie constitue un facteur de risque important dans le développement ou le maintien de troubles psychopathologiques tels que la dépression, les Troubles des Conduites Alimentaires (TCA), les conduites de dépendances ou les Troubles du Spectre Autistique (TSA). Aussi, il a été montré que la prévalence d’alexithymie chez les personnes atteintes de conduites d’addiction (alcoolisme, toxicomanie, anorexie ou boulimie) est nettement supérieure à celle de la population générale. Ainsi, la prévalence de l’alexithymie monte jusqu’à 63% chez les patients alcooliques et à 41% chez les personnes souffrant de toxicomanie (étude réalisée en 2002).

À savoir ! La prévalence est un indicateur du nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné. Elle est une photographie du nombre de cas de la maladie et englobe aussi bien les nouveaux cas que les anciens.

Quels sont les symptômes ?

L’alexithymie se traduit par une incapacité à identifier ses propres émotions. Malgré le fait que les personnes alexithymiques présentent les manifestations physiologiques des émotions (variation du rythme cardiaque, sueur…), elles ne sont capables ni d’avoir conscience de leurs émotions ni de les exprimer. Ainsi, il en découle tout un panel de manifestations cliniques :

  • Une incapacité à se représenter mentalement les émotions, on parle de cécité émotionnelle ;
  • Difficultés à créer des liens avec autrui ;
  • Difficultés à comprendre et interpréter les émotions des autres ;
  • Evitement maximal des conflits mais, si la situation se dégrade, une tendance à des réactions disproportionnées ;
  • De très faibles capacités d’introspection ;
  • Manque d’imagination, de créativité, d’humour et de flexibilité ;
  • Un mode de pensée très particulier : orienté de façon excessive vers les stimulations extérieures et marqué par un évitement de la prise en compte des signaux internes.

À savoir ! L’introspection est la capacité à percevoir ses états internes tels que ses émotions, ses perceptions, ses actions ou ses connaissances. En psychologie, elle est une méthode d’observation et d’analyse de soi.

Des travaux ont démontré que le manque d’accès aux émotions favorise l’expression de symptômes somatiques comme les douleurs chroniques de type fibromyalgie, les troubles intestinaux ou les migraines. Cela s’explique par le fait qu’un manque de conscientisation et d’expression des émotions induise un défaut de contrôle sur celles-ci.

Quelles sont les causes de l’alexithymie ?

Pour Sifneos, l’alexithymie résulte d’une combinaison d’atteintes neurophysiologiques et psychologiques. Si les causes de la survenue d’une alexithymie sont multifactorielles, elle trouverait principalement son origine durant l’enfance et à l’occasion de déficiences précoces du développement. Ainsi, on distingue deux types d’alexithymie :

  • L’alexithymie primaire qui découlerait d’un traumatisme ayant lieu durant l’enfance ou d’interactions négatives avec les personnes en charge de l’enfant. Elle résulterait également de prédispositions génétiques qui affecteraient la structure et le fonctionnement de certaines régions cérébrales. L’alexithymie primaire est considérée comme un trait de personnalité plus ou moins stable qui se façonne au cours de l’enfance et au début de l’adolescence. En effet, elle présente un caractère développemental ;
  • L’alexithymie secondaire surviendrait suite à des traumatismes psychologiques massifs pendant l’enfance ou à l’âge adulte. Elle se retrouve par exemple chez des patients atteints de stress post-traumatique. De plus, elle trouverait son origine dans des facteurs socioculturels ou psychodynamiques. Elle aurait donc des bases psychogènes.

Diagnostic et traitement de l’alexithymie

Comment diagnostique-t-on l’alexithymie ?

L’alexithymie est un trouble infraclinique, ce qui signifie qu’elle se retrouve à des degrés très variables dans la population générale et que ses symptômes ne sont généralement pas assez forts pour être décelables par un diagnostic mental à part entière.

homme en session de thérapie avec son phychologue

Nénamoins, deux outils permettent de l’évaluer :

  • Des questionnaires auto-rapportés qui sont majoritairement utilisés dans les recherches en psychologie et en neurosciences cognitives sur l’alexithymie. Il existe le Toronto Alexithymia Scale 20. Il s’agit d’un questionnaire rempli par le participant. Le questionnaire évalue sa difficulté à identifier des sentiments, à les décrire et sa capacité à se tourner vers les autres. Le Bermond-Vorst Alexithymia Questionnaire ajoute à ces trois critères deux facettes affectives en mesurant le manque de capacité à l’imagination et le manque d’émotivité ;
  • Des entretiens cliniques semi-structurés reposant sur le même principe que les questionnaires.

Ainsi, ces outils diagnostics visent à déterminer dans quelle proportion une personne présente des traits alexithymiques et si oui ou non elle dépasse un certain seuil (ou score) permettant de la qualifier d’alexithymique. A partir de là, une IRM permet d’identifier l’altération possible des substrats neuronaux impliqués dans l’alexithymie.

Quel est le traitement proposé en cas d’alexithymie ?

L’alexithymie est une affection neurophysiologique et psychologique qui nécessite le suivi d’une psychothérapie. Cependant, les cliniciens estiment que la prise en charge d’un patient alexithymique représente un défi majeur. En effet, la réussite d’une psychothérapie classique repose sur les capacités d’introspection, l’intérêt du patient pour son propre fonctionnement psychologique et d’une connaissance de ses états émotionnels. Les personnes alexithymiques sont dépourvus de l’ensemble de ces facteurs.

L’objectif du travail du psychothérapeute est de sortir le patient de son silence émotionnel. Cela va passer par la réattribution progressive d’un langage associant des émotions à ce que ressent physiquement le patient et aux situations qu’il a vécues. Petit à petit, la personne alexithymique passe par l’expression de toutes ses émotions (positives et négatives) afin de réapprendre à se représenter ses émotions et à écouter son corps. Le psychothérapeute aide à cette reconstruction et à la gestion de ces nouvelles sensations. Plusieurs approches peuvent être abordées pendant les thérapies. Les patients sont incités à « représenter » une émotion de façon théâtrale, par des gestes, ou par l’association de sensations corporelles avec des couleurs ou des paysages.

Le parcours durant la psychothérapie peut s’avérer difficile, notamment au moment de faire face à ses émotions négatives. Il s’agit d’un moment qui peut accentuer la détresse déjà ressentie par la personne. Il peut ainsi mettre en péril les chances de réussite de la thérapie. D’ailleurs, des études ont montré que, pour les personnes souffrant d’alexithymie, il était nécessaire de miser sur la dynamique interpersonnelle entre le patient et le psychologue. Les dynamiques entre plusieurs patients et le psychologue dans le cadre de thérapies groupées sont également intéressantes.

Alexia F., Docteure en Neurosciences.

Sources
– L’alexithymie ou le silence des émotions. cerveauetpsycho.fr. Consulté le 27 janvier 2022.
– L’alexithymie : les émotions indéchiffrables. scienceshumaines.com. Consulté le 27 janvier 2022.
– The Multifaceted Nature of Alexithymia – A Neuroscientific Perspective. Goerlich, K.S. 2018. Frontiers in Psychology. frontiersin.org. Consulté le 27 janvier 2022.

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