Ischémie : quand les organes suffoquent en silence

Par |Publié le : 16 juin 2025|Dernière mise à jour : 16 juin 2025|7 min de lecture|

Une douleur dans la jambe, une paralysie soudaine, une gêne thoracique ? Il peut s’agir d’une ischémie : une urgence médicale où le sang n’arrive plus à irriguer correctement un organe. Cœur, cerveau, membres… tous peuvent être touchés. Mieux vaut connaître les signes d’alerte, car chaque minute compte.

« L’ischémie est un défaut d’irrigation sanguine, notamment de sang oxygéné, vers un organe ou un tissu. C’est ce qui provoque un dysfonctionnement, parfois irréversible, de la zone concernée », explique le Dr Dominique Biscay, chirurgien vasculaire à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Tous les organes peuvent être touchés, mais certains territoires sont plus exposés : le cœur, le cerveau, les membres inférieurs, ou encore les intestins. En fonction de l’organe atteint, les conséquences varient, mais l’urgence est souvent la même : réagir vite, avant que les lésions ne deviennent irréversibles.

Une privation d’oxygène aux conséquences multiples

À l’origine, l’ischémie traduit un déséquilibre entre les besoins en oxygène d’un organe et la capacité des artères à lui en fournir. Le sang, transporté par le réseau artériel, apporte à chaque cellule ce précieux oxygène indispensable à son bon fonctionnement. Mais dès lors que ce flux est interrompu, la cellule passe en mode de survie, ce que les spécialistes appellent le métabolisme anaérobie. À court terme, cela entraîne la production de substances toxiques, comme le potassium ou l’acide lactique. À plus long terme, si rien n’est fait, les cellules meurent. « Plus l’organe est irrigué par une grosse artère unique, plus il est vulnérable à une ischémie. C’est le cas du cœur avec les coronaires, ou du cerveau avec les carotides », précise le Dr Biscay.

Une urgence médicale fréquente

L’ischémie n’est pas une curiosité médicale. « C’est notre quotidien », résume le Dr Thomas Mesnard, chirurgien vasculaire au CHU de Lille. Dans son service, les ischémies aiguës des membres inférieurs représentent une part importante des urgences. En cause : une artère qui se bouche brutalement, empêchant le sang d’atteindre la jambe. Le risque est double : une perte fonctionnelle du membre, mais aussi un danger vital. « Si la masse musculaire privée d’oxygène est importante, on peut observer un relargage massif de métabolites au moment de la revascularisation, avec des risques d’hyperkaliémie et de troubles du rythme cardiaque », alerte le chirurgien.

Deux mécanismes principaux

L’ischémie peut se produire sur une artère dite « saine », ou au contraire sur une artère déjà fragilisée. « Lorsqu’elle survient sur une artère saine, c’est souvent d’origine embolique. Le caillot vient du cœur – en général chez un patient souffrant de fibrillation atriale – et se bloque dans une artère périphérique. C’est brutal, et souvent plus sévère car le corps n’a pas eu le temps de développer une circulation collatérale », explique le Dr Mesnard.

À l’inverse, lorsque l’ischémie survient sur une artère pathologique, c’est généralement la conséquence d’une athérosclérose évolutive. La plaque d’athérome se fissure, un caillot se forme localement, et l’artère se bouche. « Dans ces cas-là, le patient a parfois développé une circulation collatérale, qui compense un peu. Les symptômes peuvent être moins bruyants au début, mais l’ischémie n’en reste pas moins dangereuse », poursuit-il.

Des signes à repérer rapidement

Les symptômes varient selon l’organe concerné. Dans les membres inférieurs, l’ischémie aiguë se manifeste souvent par une douleur brutale, soudaine, en étau ou en crampe, localisée au mollet. À cela s’ajoutent parfois des troubles neurologiques (fourmillements, engourdissements, perte de sensibilité), une pâleur, un refroidissement du membre, voire une paralysie.

« Il faut connaître les trois P : douleur, pâleur, paresthésies. Leur présence doit immédiatement faire penser à une ischémie aiguë », insiste le Dr Mesnard.

Au niveau du cœur, l’ischémie se traduit par une douleur thoracique, constrictive, parfois irradiant dans le bras gauche. C’est l’angor, ou l’infarctus si la douleur persiste. Dans le cerveau, on parle d’AVC ischémique, avec paralysie, troubles de la parole ou perte soudaine de la vision.

Pour l’intestin, des douleurs abdominales intenses après les repas peuvent alerter sur une ischémie mésentérique.

Une course contre la montre

Face à ces signes, la réactivité est essentielle. « Il faut appeler le 15, sans tarder. Passé un certain délai – parfois 6 heures seulement – les lésions deviennent irréversibles », martèle le Dr Biscay. Le diagnostic repose d’abord sur l’examen clinique, mais il est généralement complété par un scanner ou une échographie Doppler. Ces examens permettent de localiser l’occlusion, d’en évaluer la gravité et de guider l’intervention.

Le traitement consiste à rétablir au plus vite la circulation sanguine. Cela peut se faire par des techniques endovasculaires (stent, aspiration, thrombolyse) ou chirurgicales (embolectomie, artériotomie, pontage). « Les traitements médicamenteux, comme l’héparine, peuvent stabiliser la situation, mais ils ne suffisent jamais à déboucher l’artère. Le geste interventionnel est incontournable », rappelle le Dr Mesnard.

Prévenir pour mieux guérir

Une ischémie prise à temps peut être réversible. Mais lorsqu’elle est trop tardivement détectée, les conséquences sont graves : nécrose, amputation, séquelles neurologiques, ou décès. Et même en cas de succès technique, le pronostic reste réservé. « Une ischémie aiguë est souvent le révélateur d’un état artériel dégradé. On sait que les patients touchés ont un risque accru de récidive, d’infarctus ou d’AVC », alerte le Dr Mesnard.

La prévention est donc une priorité. Elle repose sur une hygiène de vie rigoureuse : arrêt du tabac, activité physique régulière, alimentation équilibrée, contrôle du diabète, de l’hypertension et du cholestérol. « Lorsqu’on agit en amont, on évite des drames. J’ai vu des patients jeunes, fumeurs, sans suivi médical, arriver avec des ischémies avancées. On aurait pu les sauver plus tôt », témoigne le Dr Biscay.

L’un des cas fréquents rencontrés en consultation est celui de la claudication intermittente : une douleur musculaire à la marche, souvent banalisée par les patients. « Ils pensent à une crampe ou à une sciatique, mais c’est parfois le seul signe avant-coureur d’une artérite sévère. Ces douleurs régressent à l’arrêt de l’effort, mais indiquent que le muscle souffre déjà d’un manque d’oxygène », explique le chirurgien bordelais.

Il distingue deux niveaux d’action : la prévention primaire, avant l’apparition des symptômes, et la prévention secondaire, après un premier incident. Dans les deux cas, un traitement de fond est nécessaire : antiagrégants plaquettaires, anticoagulants, statines, et surveillance régulière. « Les symptômes apparaissent souvent quand l’artère est déjà bouchée à plus de 70 %. D’où l’importance de dépister tôt, même en l’absence de signe », insiste le Dr Biscay.

Le bon réflexe : appeler le 15

L’ischémie est un signal d’alarme que le corps envoie parfois trop tard. Pourtant, face à une douleur brutale, une gêne inhabituelle ou une perte de fonction soudaine, une réaction rapide peut tout changer. « Il faut vraiment que les gens sachent que face à une douleur inhabituelle et brutale, le bon réflexe, c’est d’appeler le 15 », conclut le Dr Mesnard. Une prise en charge rapide sauve des jambes, des cœurs… et des vies.

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Peggy Cardin
Peggy Cardin
Journaliste spécialisée en santé
Peggy Cardin-Changizi Journaliste spécialisée en santé depuis plus de vingt ans. Elle traite des sujets de prévention, de santé publique et de médecine au quotidien, avec pour objectif de rendre l'information médicale claire, fiable et accessible à tous. Rédige un contenu scientifique fiable avec des sources vérifiées en respect de notre charte HIC.